Portrait

Moosse Mokhtari
/ Restaurateur home-made

Retour au bercail. Après plus de 20 ans passés à Paris, le Dionysien a fait, il y a deux ans, un retour triomphal dans sa ville d’origine en créant la Cantine sauvage, immense restaurant au décor chiné et aux saveurs méditerranéennes. Portrait d’un passionné à l’énergie communicative.

Une chose est sûre, Moosse (prononcer Mous) a Saint-Denis dans le sang. Le « restaurateur au tempérament brut », tout en muscle, cheveux ras et boucle d’oreille, a voulu « renouer avec ses origines » sur ses terres natales en décembre 2019 après 23 ans d’exil dans la capitale. « Quand on quitte Saint-Denis on a une vie soit chaotique soit formidable », analyse le patron à la gouaille enjouée. « Être à l’aise avec les gens c’est ce que Saint-Denis m’a appris.»

Né à l’hôpital Delafontaine en 1972, cet Algérien d’origine grandit rue Danielle-Casanova avant de partir pour le pays de ses parents. « J’étais le chef de famille à 8-9 ans, mon père était commerçant en France, on le voyait tous les deux ans.» Son retour à Saint-Denis se fait sous le signe de la débrouillardise. Logé dans le foyer jeune travailleur de Marville, le jeune Moosse vit alors de petits boulots au marché: « J’étais exploité! ». Il fait les poubelles de l’Euromarché. À 18 ans, l’ambition chevillée au corps, il tient un café près de la cité Stalingrad et se marie l’année de sa majorité « dans un costume à 399 francs et une cravate à 19 francs » achetée rue de la République dans une boutique aujourd’hui remplacée par Foot Locker.

Buinessman plein d'idées

En 1995, alors âgé de 23 ans, le Dionysien décide de tout quitter pour tenter l’aventure parisienne. La passion et la détermination dans ses valises. Mais pour le jeune businessman plein d’idées, ses origines sont un vrai frein. « J’ai toujours eu des problèmes pour m’installer. On a souvent cru que j’étais un dealer.» Pour réussir à faire revenir la clientèle du café qu’il vient de reprendre boulevard Diderot, Moosse Mokhtari se décide alors à mentir sur ses origines. « Je suis devenu Mario, homosexuel et fils d’une mère portugaise. À partir de là les clients sont venus. Jusqu’à mes 30 ans je me suis approprié une vie différente pour me faire connaître.»

Et les affaires vont marcher pour le self made man à la rage d’entreprendre. Mais 13 ouvertures d’établissements dans la capitale plus tard, le créateur décide de « remettre son costume » de Dionysien. « J’ai laissé tout ce que j’étais en partant, c’était comme si j’étais parti nu », détaille le désormais quarantenaire. Après avoir mis en place un laboratoire de boulangerie-pâtisserie à Noisy-le-Sec avec l'actuelle cheffe de la Cantine Sauvage, l’idée de retourner sur ses terres se concrétise. C’est elle qui trouve l’immense local qu’ils occupent actuellement avenue du Président-Wilson à la Plaine. 1500m2 de potentiel brut pour 18000 euros de loyer par mois.

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L’entrepreneur s’autofinance. Il connaît le métier sur le bout des doigts et « marche à la confiance ». Moosse vend alors trois de ses treize cafés parisiens pour financer les travaux de l’ancienne réserve de l’antiquaire Julien Cohen vu dans l’émission de France 2 Affaire conclue, tournée à quelques kilomètres seulement, dans les ateliers Christofle. Le labo’ de Noisy-le-Sec est déplacé dans le nouveau local et le mobilier des trois restaurants parisiens est transféré pour créer la Cantine sauvage. « On ne s’attendait pas à un aussi gros succès. C’était vraiment un projet perso, pour moi. Je suis super heureux, je n’ai jamais eu autant de compliments de ma vie », se réjouit Moosse en avalant son troisième café. « Je bosse jusque 6heures du mat’ aujourd’hui.»

Mobilier chiné, peinture tropicale, mur en carrelage taggué : l’endroit dénote à Saint-Denis. « Tout ce que j’ai appris à Paris je le ramène ici.» Si l’établissement ressemble à un restaurant que l’on pourrait trouver dans le très bobo 11e arrondissement, les prix, eux, n’ont rien de Parisiens. Trois gros camions garés aux pieds des cathédrales du rail, à l’arrière du restaurant où se trouve d’ailleurs une ferronnerie (une partie du mobilier est réalisée sur place), ont permis à Moosse de ne plus avoir recourt à des prestataires.

Il se rend luimême à Rungis, « ce qui me permet de faire moins cher ». Et l’énergique patron a encore des projets dans les cartons. Il lorgne un immense terrain, pour le moment vague, de 3 500 m2, à l’arrière de son établissement, qu’il compte bien développer. « Je voulais aussi avoir les cathédrales du rail pour y faire une salle des fêtes », révèle cet infatigable passionné. Avec l’équipe d’Espace imaginaire, lieu culturel, Moosse va créer « un espace de partage ». Une friche culturelle avec espace vert esprit Biergarten, potager en permaculture et foodtrucks. Son idée : mélanger les cultures, « qu’on soit tous ensemble, qu’on partage un même lieu même si chacun veut rester dans son coin ».

Olivia Kouassi 

La Cantine Sauvage
177 avenue du Président Wilson