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Antoine Tricot est journaliste à France Culture et est l’auteur de Cheville ouvrière, une enquête menée à Saint-Pol-sur-Mer, petite commune des Hauts-de-France, entre 2015 et 2017. Il y voit des parallèles entre cette banlieue de Dunkerque et Saint-Denis, où il vit depuis cinq ans.
Vues urbaines du quartier Guynemer – Jean-Bart de Saint-Pol-sur-Mer. © Yann Tricot
Vues urbaines du quartier Guynemer – Jean-Bart de Saint-Pol-sur-Mer. © Yann Tricot

Quels sont les points communs entre Saint-Pol-sur-Mer, commune de 21 000 habitants de la banlieue de Dunkerque (Hauts-de-France), et Saint-Denis ? « On peut dresser de nombreux parallèles : la relation compliquée avec les médias et la police, la rénovation urbaine, les relations aux bailleurs sociaux… Je trouve que c’est intéressant de retrouver ces mêmes questions dans les 2 600 quartiers prioritaires que compte la France », estime Antoine Tricot, l’auteur du livre Cheville ouvrière et journaliste à France Culture.

Installé depuis cinq ans à Saint-Denis, il a signé une enquête menée à Saint-Pol-sur-Mer entre 2015 et 2017. Elle dresse le portrait d’une ville tiraillée entre deux récits ouvriers : l’un glorieux, l’autre plus gênant et que les politiques locales ont tendance à vouloir effacer.

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À l’ombre de la cité-jardin Les Cheminots et de ses pavillons décatis, le grand ensemble Guynemer – Jean-Bart (900 logements) est ce petit frère honteux. Celui dans lequel on ne veut pas plonger le regard de crainte d’y lire nos erreurs. « Les habitants des Cheminots sont très faciles à rencontrer parce qu’il y a des gens, des associations d’anciens cheminots qui valorisent ce patrimoine. Ils en tirent une vraie fierté. Alors qu’à côté, dans la résidence Guynemer – Jean-Bart, cela a été très compliqué d’avoir des informations de base. De manière unanime, ce quartier est perçu comme malfamé, moche et défigurant la ville. Il y a une tendance à vouloir l’exclure, bien qu’il se trouve à 100 m de la mairie. »

Autour du plan de rénovation urbaine

Alors, surpris par ce décalage de représentation, Antoine Tricot a cherché à établir les liens existants entre Les Cheminots et les barres Guynemer - JeanBart à l’aune de témoignages de leurs habitants qu’il glane lors de sa résidence sur place et d’un projet de rénovation urbaine promis en 2014, pierre angulaire de son récit. « Mon livre tourne avant tout autour du plan de rénovation urbaine. Le fait que les concertations sont toujours difficiles à honorer est un autre parallèle que l’on peut établir avec Saint-Denis.

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Il suffit de voir les débats autour des chantiers dans le cadre des Jeux Olympiques 2024, du Grand Paris express, mais aussi de la réhabilitation de Franc-Moisin. Vous savez, à Saint-Pol, les quartiers allaient être rénovés et les habitants l’apprenaient par moi, se souvient Antoine Tricot. Je ne critique pas les maires, mais plutôt la structure politique qui doit être décentralisée. Les maires, sous la houlette de la communauté d’agglomération, doivent présenter des projets ficelés auprès de l’Agence nationale de rénovation urbaine et ensuite obtenir les budgets. Dans l’idéal, il faudrait ouvrir une concertation avec les habitants dix ans avant de présenter un dossier à l’ANRU. Or, actuellement, c’est impossible. Il y a aussi un peu de mépris envers les habitants. Il n’y a qu’à voir les conseils citoyens qui ne sont que consultatifs. »

On notera aussi l’intention de Cheville ouvrière, dans une première partie dense et détaillée, de plaider pour une autre vision du journalisme. « Je voulais amener une réflexion sur ce que c’est d’être journaliste dans un quartier populaire. J’habite à Saint-Denis, je viens du Cantal, je suis issu de classe moyenne, j’ai un modeste bagage en sciences sociales, j’ai étudié l’histoire, tout cela va modifier ma perception de la réalité. C’est important que le lecteur sache d’où je parle pour montrer les limites de mon travail et qu’on puisse le critiquer », explique l’auteur.

Et c’est en tant que journaliste mais aussi habitant qu’Antoine Tricot livrera un documentaire radiophonique sur le 48, rue de la République : depuis l’assaut du Raid en 2015 et son traumatisme, à la difficile reconstruction des habitants. Encore une fois, Antoine Tricot fera entendre la voix de ceux que l’on n’a plus l’habitude d’écouter. Une série en deux épisodes à découvrir le 21 et 22novembre sur France Culture à 13h30.

MLo

Cheville ouvrière, Creaphis Éditions, 411 pages, 12€

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Le site web perso de l'auteur : https://www.antoinetricot.com -- conseillée l'écoute sonore de sa série enquête radio dans le Cantal(15) --