Portrait
Michel Quarez : pas de compromission à l’affiche
Michel Quarez est né à Damas en 1938. Enfant, il vit à Beyrouth et en Algérie avant de venir en France. Fait les Beaux-arts à Bordeaux, et les Arts décoratifs à Paris. Il en sort diplômé en 1961. « La perspective alors, c’était de retourner en Algérie, en kaki, avec une arme au poing...» Il préfère partir pour Varsovie où il découvre les affichistes polonais (Henryk Tomasczewski, Jan Lenica…).
Puis il passe deux ans dans une agence de publicité où il fait peu d’affiches. Part aux États-Unis, le temps de réaliser une bande dessinée, Mod Love, qui n’a jamais été traduite et est aujourd’hui à peu près introuvable, au grand regret de ceux qui aiment Michel Quarez et la BD. Il se fâche avec l’éditeur et le scénariste. Rentre en France, collabore un temps avec les graphistes de Grapus, les quitte fâché. Il participe à l’hebdomadaire Révolution, et aussi, en compagnie de son amie Anne Preiss, à la revue M : Mensuel, Marxiste, Mouvement d’Henri Lefebvre, avec lequel il ne parvient pas à se fâcher. Avec Michael Gaumnitz, il travaille à l’élaboration d’images sur palettes graphiques.
« À mon âge je préfère peindre sans un emmerdeur sur mon dos qui veut du rouge un peu plus rouge »
À partir du milieu des années 1980, et pendant une quinzaine d’années, les commandes d’affiches affluent : Marchais à la Bastille, Fête de l’Huma, Salon de l’architecture, Fête de la musique, Coupe du monde 98... Mais aussi la Fête des tulipes, à Saint-Denis, où il a installé son atelier dès 1972. « En 2009, j’ai mis un point presque final à ma production d’affiches, parce que les conditions de réalisation n’étaient plus réunies.» Il montre une de ses dernières affiches, pour le collectif Sacamain. « Imagine cette image avec dix logos au bas : je me retrouve avec un format abâtardi ! Je ne travaille plus dans ces conditions. Alors je n’ai plus de commandes. Je m’en fiche : à mon âge je préfère peindre sans un emmerdeur sur mon dos qui veut du rouge un peu plus rouge ou un logo un peu plus grand…»
Au mur de l’atelier, on voit, collé sur une grande feuille, un petit personnage découpé, en mouvement (très souvent il y a un mouvement dans les images de Michel Quarez) : « Je voudrais faire le petit personnage en relief d’une couleur, sur un fond d’une autre couleur. C’est un problème esthétique que j’ai déjà abordé avec les pinceaux, mais maintenant je voudrais l’aborder avec des rouleaux, ça me donne une autre matière. Je ne suis pas sûr du résultat. Je suis assez roublard pour être plus sûr que je ne le prétends, mais il y a une petite aventure, un petit exercice. Un peu d’imprévu.» D’un ton grave il ajoute, pince-sans-rire : « Sans imprévu, c’est la statufication. La pétrification. La Mort. »
Le glas n’a pas encore sonné. Sa dernière exposition, à la galerie Bonnet (1), n’est pas une rétrospective, même si on peut y voir des originaux d’affiches en compagnie de ses peintures récentes, qui continuent d’explorer l’univers des formes. « Quand je vois la démocratisation de l’image aujourd’hui, de la photo – avec lesselfies – je me dis que ça rend de plus en plus impérieusement utile l’apparition de l’image mentale, car la reproduction du réel, ça n’a plus beaucoup d’intérêt, tout le monde peut le faire. Ça devient une redondance bêtasse.»
Sébastien Banse
(1) Peintures récentes et originaux d’affiches jusqu'au 5 juillet 2014, à la Galerie Corinne Bonnet, cité artisanale (63, rue Daguerre, Paris 14e). 14h-19h du lundi au vendredi, 15-19h le samedi et sur rendez-vous. Tél. : 01 43 20 56 06.