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Les petits salaires en première ligne
Agents des crèches, des cantines, des accueils de loisirs, des écoles, des antennes jeunesses ou encore personnel de ménage. Ces petites mains de la machine municipale, des femmes essentiellement, sont au cœur du mouvement social contre la remise en question de leurs jours de congés et de leur prime annuelle par le nouveau maire Mathieu Hanotin (PS).
Depuis le 2 octobre, ces fonctionnaires du service public communal sont les plus mobilisés lors des rassemblements devant la mairie. Ils sont aussi les plus nombreux. Selon le bilan social 2017 de la Ville de Saint-Denis, environ 77 % des quelque 3 600 agents communaux occupent un poste de catégorie C, l’échelon le plus bas, contre 14 % en catégorie B et 10 % en catégorie A. Et 49 % des catégories C habitent à Saint-Denis.
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« Hanotin s’attaque aux petits salaires. Ce sont eux, en bas de l’échelle sociale de la mairie, qui vont le plus souffrir de cette réforme. La précarité va augmenter », estime Marwan (1), responsable d’une antenne de jeunesse. « Nous, on est sur le terrain. Il n’y a rien de plus dur que de travailler au contact de la population. Même si c’est un plaisir, le travail est difficile. On a fait le choix d’être fonctionnaire, mais, financièrement, ce n’est pas non plus l’Eldorado », poursuit cet agent qui touche 1 900 euros net par mois. Un animateur, explique-t-il, débute autour de 1 400 euros mensuels, et peut espérer monter à 1 700 euros en fin de carrière, alors que « la majorité d’entre eux bosse dur », assure-t-il.
« Ça va pénaliser les plus fragiles »
« La nouvelle municipalité nous fait passer pour des fainéants », dit Christine, auxiliaire de puéricultrice en crèche, dans l’est dionysien. Un sentiment partagé parmi les agents mobilisés. Cette réforme est « injuste pour le personnel. On s’attaque à nos acquis sociaux. Cela va pénaliser les plus anciens, les plus fragiles », critique la fonctionnaire, qui gagne 1 850 euros net par mois, après presque trente ans de carrière. Elle a calculé : elle devra travailler une dizaine de jours supplémentaires par an pour le même salaire, sans garantie de toucher la prime annuelle de 1 450 euros.
Automatiquement versée jusqu’ici, cette dernière sera en partie modulée selon la présence de l’agent. « Il faudra être en bonne santé et ne pas tomber malade », critique Christine. Cette mesure va surtout « sanctionner » des agents qui souffrent déjà au travail, estime-t-elle, sans régler le problème de l’absentéisme. Dans son rapport 2017, la cour régionale des comptes avait pointé un taux d’absentéisme de 13,8 % à Saint-Denis, contre 8 % pour les autres communes de la petite couronne. Comme elle, beaucoup de femmes âgées de 45 à 60 ans, en catégorie C, travaillent à des postes à pénibilité importante, comme dans la restauration, l’entretien ou la petite enfance. À Saint-Denis, environ 70 % des agents de la Ville sont des femmes. Ce taux monte à 97 % à la petite enfance ou encore 87 % à la vie scolaire.
« On prend de l’âge. On n’a plus notre jeunesse », confie Fatima, atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), la quarantaine, seize ans de carrière, 1 500 euros net par mois. « C’est difficile. Parfois, on porte des enfants alors qu’on a le dos cassé. Franchement, on aime notre métier. On fait plus que notre travail. Mais on est aussi fatigué », dit cette femme qui travaille 37 heures et demie par semaine. « On travaille dans des conditions précaires. Quand il y a un malade, un absent, il n’y a pas de remplaçant », témoigne Karima, 43 ans, responsable d’une cantine à Pleyel. « Et maintenant ils veulent toucher à nos congés, notre prime, à ce qui nous motive ?, dit-elle, taclant M. Hanotin. Est-il de gauche ou est-ce un réformiste de droite ? On dirait Macron. »
« On a déjà du mal à joindre les deux bouts »
« On fait un travail physique, pénible. Avec l’âge, je commence à avoir des problèmes au dos, aux épaules. Après vingt-deux ans de Ville, je suis cassée », raconte Maria, cinquantenaire, cheffe d’une cantine dans le nord de la ville. En septembre, elle a posé un arrêt maladie. À l’avenir, craint-elle, elle ne pourra peut-être plus le faire, de peur de ne pas toucher sa prime annuelle, qu’elle considère comme un 13e mois et dont une moitié est versée avant Noël. « On l’attend tous, surtout les femmes seules avec des enfants. On a déjà du mal à joindre les deux bouts », confie cette mère de famille, qui touche environ 1800 euros net par mois.
« Il y a eu des abus, des agents qui s’arrêtent pour un rien, mais il ne fallait pas généraliser », dit-elle à propos de l’absentéisme. Au lieu de conditionner la prime à la présence, « il faut faire des contrôles », estime-t-elle. Un cadre, vingt-sept ans de carrière, estime « qu’une minorité d’agents a porté préjudice à l’image de l’ensemble de l’administration ». Mais selon lui, la réforme va surtout « pénaliser les plus fragiles ». « Qu’on m’enlève ma prime, mes jours de congés, mais qu’on les donne aux plus bas salaires », dit-il. Pas sûr qu’il soit entendu.
>> La galère pour les parentsCe mardi 13 octobre a été une nouvelle journée de galère pour les parents. Crèches, cantines, accueils de loisirs, de nombreux services municipaux étaient encore fortement perturbés par le conflit social. Les situations ont été disparates selon les services : si la grande majorité des cantines (la pause méridienne) ont à nouveau fermé, seuls 6 accueils de loisirs sur 38 n’ont pas ouvert, selon le décompte de la municipalité. Les parents, eux, doivent s’adapter. À Porte de Paris, à la crèche Pain d’épices, cette mère a par exemple fait le choix d’emmener son enfant uniquement l’après-midi, étant donné que la structure est généralement fermée le midi. En recherche d’un emploi, elle a pu opter pour ce choix, mais d’autres parents, qui travaillent, ont dû trouver d’autres solutions de garde, témoigne-t-elle. Selon les prévisions de la municipalité, la situation devait s’améliorer mercredi 14 octobre. Pour les vacances scolaires de la Toussaint, la Ville prévoit l’ouverture d’une majorité des accueils de loisirs. À suivre sur le site de la Ville : www.saint-denis.fr |
Aziz Oguz
(1) Les noms ont été changés
Réactions
Azzedine (Pseudonyme non vérifié)
14 octobre 2020
Dyonisienne (Pseudonyme non vérifié)
15 octobre 2020