Cultures

La Chaufferie
/ Le temple créatif de Philippe Decouflé

Ancienne usine thermique, La Chaufferie sert de lieu de création à Philippe Decouflé depuis 1993. Entre ses murs furent créés tous les spectacles du mythique chorégraphe : de quoi donner une âme sacrée à l’endroit, dont la mise à disposition gracieuse par la mairie devrait être renouvelée en décembre.
Lahlou, directeur technique de La Chaufferie depuis 1997, sur le plateau de 15 m x 15 m et sa hauteur sous plafond de 9 m. © Yann Mambert
Lahlou, directeur technique de La Chaufferie depuis 1997, sur le plateau de 15 m x 15 m et sa hauteur sous plafond de 9 m. © Yann Mambert

C’est un bâtiment aux allures de cube blanc, aux fenêtres interminables, dressé comme une promesse. À l’intérieur de la construction, signée André Lurçat, un dédale de pièces au cachet indéniable et de recoins accessibles par une succession d’escaliers dévoilent les coulisses du spectacle: une galerie à l’étage, où s’amoncellent des décors ; des enfilades infinies de costumes ; un établi aux outils soigneusement rangés ; des câbles, des micros en pagaille ; une cuisine et un bar aux couleurs vives ; un studio de danse boisé et lumineux ; et partout des affiches des créations phares de Philippe Decouflé – Shazam, Wiebo, etc.

Car l’endroit de près de 1 000m2, construit en 1952, ex-usine thermique qui alimentait Saint-Denis en chauffage, sert, depuis 1993, de lieu de création au chorégraphe rendu célèbre par la mise en scène des cérémonies des JO d’Albertville (1992).

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L’endroit, à l’abandon, fut mis à disposition gracieuse par l’ancien maire Patrick Braouezec, désireux d’accueillir dans sa ville un artiste d’envergure internationale, susceptible de faire profiter le quartier de sa créativité. « À l’arrivée de Philippe Decouflé, La Chaufferie était une coquille vide. Nous avons effectué d’énormes travaux, y compris d’agrandissement. Nous l’avons aménagé selon nos besoins », éclaire l’administratrice de la Compagnie DCA, Estelle Le Goasduff. Et ce n’est pas Lahlou, directeur technique depuis 1997, âme du lieu, qui dira le contraire.

De La Chaufferie, il connaît tous les secrets : il a participé activement à sa construction et réfléchit, chaque jour, à son amélioration. Ses ingrédients ? De l’organisation, du professionnalisme, de l’amour. Le cœur de l’endroit réside dans son plateau scénique de 15m x 15m, avec sa hauteur sous plafond de 9m, susceptible d’accueillir des circassiens, que Philippe Decouflé aime tant. Ce jour, il dirige trois danseuses, en vue de la création Magic Mozart, à la Seine Musicale. De La Chaufferie, le « maître » parle avec passion : « C’est un lieu fabuleux. Cette quasi-salle de spectacle grandeur nature nous permet de tout tester – décors, éclairage, vidéos, etc. Bref, d’aller aussi loin que possible dans la création… »

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Cet outil précieux permet ainsi à DCA d’être l’une des plus grandes compagnies de danse indépendante, non subventionnée : libre de ses choix, mais forcément précaire… Furent ici créés tous les spectacles du chorégraphe. Et de ces aventures, il reste cet intangible : émotions, souvenirs… « Le spectacle vivant, c’est de l’humain, de l’amour, des rencontres. Mes pinceaux et mes couleurs, ce sont les danseurs », affirme avec émotion le créateur, qui confie que le lieu porte aussi l’héritage des amis, des membres essentiels de la compagnie, aujourd’hui disparus… Au début, le lieu (à la capacité publique de 49 personnes) s’ouvrait sur son environnement.

L’été, à l’occasion du Festival de Saint-Denis, il recevait du public en extérieur, avec des spectacles, un bar, une guinguette… Mais depuis, l’exigence des normes d’accessibilité aux personnes handicapées requiert des travaux au coût trop élevé pour réitérer l’expérience. Et malgré l’accueil de compagnies locales, et de fréquentes interventions en milieu scolaires, – comme au lycée Paul-Éluard où elle avait monté, en 2014, la pièce Contact avec 200 élèves – la compagnie se fait trop rare sur son territoire. Manque d’interlocuteurs institutionnels, passage à vide du chorégraphe, voyages à l’étranger, depuis deux ans : de multiples raisons expliquent cette absence. Mais M. Decouflé compte remédier à cette lacune.

Ouvrir le dialogue

Et voici ce qui provoque la colère de l’un de leurs voisins, Wenceslas Balima, metteur en scène de la compagnie Écho des sans mot, qui mêle théâtre, musique, conte. « Les habitants doivent pouvoir s’approprier la culture : ce n’est pas un luxe, s’agace-t-il. Notre compagnie travaille en ce sens. Et avec notre activité croissante, nous cherchons un lieu… » Ainsi lorgne-t-il sur La Chaufferie, dont la mise à disposition par la municipalité doit être renouvelée en décembre. Le ton se fait virulent : « Ce lieu occupé par Monsieur Decouflé depuis 1993 n’est pas tourné vers les habitants. Pour nous, il y a un système de népotisme de la culture, qui consiste à puiser dans la misère des pauvres sans se préoccuper d’eux. »

M.Balima a, pour l’endroit, de grandes ambitions sociales et culturelles : l’installation d’une épicerie et d’un garage solidaires, d’un lieu d’accueil des habitants et des artistes, d’une ludothèque, mais aussi, et surtout, la mise en œuvre d’une création tournée vers le quartier et l’espace public… DCA propose d’ouvrir le dialogue avec Monsieur Balima, et avec toutes les compagnies désireuses d’inventer un art partagé. Et si elle a conscience qu’à terme, La Chaufferie sera peut-être occupée autrement, la compagnie aimerait rester quelque temps encore dans ce lieu mythique, qu’elle a forgé à son image, si chargé d’histoires et de souvenirs.

Anne-Laure Lemancel

La Chaufferie (10 bis, rue Maurice-Thore)

Réactions

Je comprends complètement (à 100 %) la colère de M. Balima. J'habite la cité Jacques Duclos et je vois comment il se démène pour les jeunes avec son association "l'écho des sans mot" mais aussi l'aide alimentaire qu'il a organisée depuis le confinement pour les plus démunis, de plus en plus nombreux. Dans cet article, ce qui m'a fait bondir, c'est le côté égoïste de la compagnie de M. Découflé "qui veut rester encore quelques temps dans ce lieu mythique, qu'elle a forgé à son image si chargé d'histoires et de souvenirs" ! Chers amis, sortez de votre bulle et pensez à ceux qui n'ont rien ..... juste à côté de vous : venez visiter le local de M. Balima cité J Duclos. Vous avez cet espace depuis 27 ans, gracieusement offert par la Mairie. Vous ne pensez pas qu'il serait temps de le laisser à la population du quartier et ses associations, à tous ces jeunes de nos cités qui ont besoin d'espace pour développer leur créativité. Ils sont le futur. M. Balima a de beaux projets pour le quartier avec notamment une épicerie solidaire (très utile pour les plus démunis dans la période que nous vivons et qui n'est pas près de s'améliorer) et les locaux sur Duclos sont bien trop exigus. M. Découflé, vous qui n'avez plus rien à prouver dans le domaine de la création, contrairement aux jeunes de nos quartiers, usez de votre influence auprès de votre Cie pour leur faire comprendre qu'il faut laisser la place aux jeunes et qu'il y a urgence pour notre quartier où les jeunes prennent de plein fouet la crise sanitaire et économique. La culture est pour tout le monde, pas seulement pour une élite. Cet espace doit revenir aux associations de notre quartier, dès le mois de décembre, et gratuitement bien sûr. (si M. Découflé ne va pas sur ce site, merci au JSD de lui transmettre mon message)
En tant que jeune du quartier, j'approuve le discourt de ma voisine madame Lefèvre et je pense qu'il est tant de laisser la place. J'ai la chance de connaitre cette association Echo des sans mot et j'ai eu vent des projets qu'ils veulent mettre place dans ce lieu pour les habitants du quartier et franchement pour l'intérêt commun, monsieur Découflé laisser le lieu car il y va de la vie culturelle et sociale de milliers d'habitants. j'espère que vous aurez de la grandeur d'esprit pour partir par la grande porte, car s'il faut que les habitants du quartier se mobilise pour que ce lieu revienne à ceux qui travaillent pour l'intérêt commun, vous pouvez compter sur nous.
Monsieur Decouflé, nous avons besoin de ce lieu pour ouvrir des portes aux habitants du quartier et même plus. Nous voulons donner l'opportunité à nos jeunes et nos familles. notre quartier a souffert longtemps de l'enclavement de l'abandon, aujourd'hui des perspectives s'ouvrent à nous, de grâce faites place à la nouvelle génération.
je suis totalement d'accord avec madame Lefèvre, nos cités regorgent de talents que ce soit dans la musique ou bien même dans le cinéma, depuis l'arriver de M.Balima on sent que le quartier Delaunay reprend de la vie , entre tous les projets et loisirs qu'il a organisé avec les jeunes et les familles , mais malheureusement les locaux que l'on dispose sont assez petit et pour voir plus grand il nous faut des locaux plus grand tout simplement, malgré les petit moyens je trouve que beaucoup de chose ont avancé dans notre cité , mais je pense qu'on peut faire mieux encore , beaucoup mieux ! pour cela merci de laisser le lieu à l'association.
Je crois Mr Ducouflé passe totalement à côté de la plaque en disant qu'un voisin en la personne de Winceslass Balima veut récupérer la chaufferie. Comme si cela était un bien de succession. Une jeunesse sans débouchés est un danger pour la société. Ce qu'il faut savoir, est que ce monsieur dont vous parlez, agit pour une jeunesse en perdition à la recherche d'un repère et d'un soutien pour exister dans la société. Et c'est ce que mr Balima tante de faire avec le peu de moyen qu'il dispose; un local exigü pour accueillir des jeunes en formation civique et aussi mettre en oeuvre des cellules qui assurent des cours de soutiens scolaire pour permettre à ces jeunes démunis de bénéficier de plus de connaissance, et cela bénévolement. A cela s'ajoute un partenariat avec des bonnes volontés qui distribue des dhenreés alimentaires à plus de deux milles familles depuis le début de l'épidémie à nos jours. Sans compter ces différentes activités culturelles et sportives qui égayent toute cette jeunesse et les redonnent le goût de vivre et de se battre pour réaliser leur rêve. Cette association que mr Balima dirige est le fruit de plusieurs années de lutte contre les inégalités afin que les plus démunis trouve leur place dans cette société de rapace que nous vivons tous. Je vous invite à faire un micro trottoir pour comprendre que l’écho ne s'est pas limité au rayon de la chaufferie, mais au delà même du département de la saine saint Denis. Des familles qui retrouvent le sourire, une jeunesse qui se sent plus écoutée à cause de soirées débats autour de plusieurs thèmes de société qui les concerne, et c'est cela la contribution de mr Balima pour une réinsertion sociale pour le vivre ensemble. Mr Decouflè, si vous vous souciez de cette jeunesse comme mr Balima arrêtez!! de trop tirer, laissez la chaufferie aux jeunes pour plus d'épanouissement. Je vous remercie
Bonjour, je suis un jeune artiste actuellement service civique au sein de l'association echo des sans mot. Depuis le début de mon contrat nous avons mener a bien bon nombre de mission au sein du quartier et de ces allant tour. Nous touchons énormement de monde, le quartier c'est mis a revivre, les jeunes qui avant était en conflit avec certains habitants, travaille aujourd'hui avec eux pour le bien du quartier . Des sorties, soutien scolaires, colis alimentaire ont été mis en place suite au COVID et au confinement. L'etat ne nous aide pas dans notre dur quotidien mais nous pouvons nous aider nous-meme et nous le fesons deja avec l'echo des sans mot. Ce qu'il nous faut c'est des moyens et des locaux pour mener a bien nos missions. Il y a dans nos quartiers plein de jeunes talenteux et ambitieux mais qui sont ne sont ni aider, ni solliciter. L'obtention des locaux donnerai lieu a une profusion d'évènement culturelles, éducatifs et solidaires ainsi que l'émergence de jeunes talents . Un lieu pour les habitants qui sert les habitants.
A lire cet article, une chose me questionne profondément...le champ lexical réservé pour qualifier Philippe Découflé lui-même et son palais doré « La Chaufferie » ! On parle de « temple créatif », de « spectacles mythiques », du « maître » et ses « secrets »... Cette sacralisation de l’artiste participe à ce qui nuit justement à l’image de la danse contemporaine....un art qui serait réservé à une élite, un public élu qui seul connaît les codes pour comprendre (et ne fréquente à Saint-Denis que les Rencontres Chorégraphiques pour vite reprendre le métro ensuite...) . Si l’on s’intéresse un peu au secteur chorégraphique et à l’essence même de la danse, on est vraiment loin , très loin du compte. La danse c’est cet art universel, ce langage partagé par tous les peuples du monde ! Celui de nos corps, celui qui nous rassemble dans notre humanité la plus profonde. Qui plus est, peut-être Philippe Découflé et ses danseurs sont-ils allés « loin dans la création ».... mais en tout cas, ils ne sont pas allés bien loin dans le quartier...le quartier DBS où œuvre justement l’association Echo des sans mot et son directeur Monsieur Balima en faisant exister la culture hors les murs des lieux institutionnels, dans l’espace public et tissant des liens entre l’art, l’éducation, le social... Un travail transversal, protéiforme qui fait beaucoup de bien à notre quartier (qui est un véritable vivier d’artistes). Cela c’est concret, palpable au quotidien... par rapport aux portes closes d’une Chaufferie repliée sur elle-même. Ce lieu appartient au chorégraphe depuis...1993 ? Cette longévité d’un mandat dans le secteur artistique est tout à fait contestable... Souvenez-vous par exemple que les directeurs des CCN (Centres Chorégraphiques nationaux) sont nommés pour un mandat de 4 ans renouvelable dans la limité de deux périodes de 3 ans. Il est temps que la roue tourne un peu...car tourner c’est déjà danser !