Cultures
La Chaufferie /
Le temple créatif de Philippe Decouflé
C’est un bâtiment aux allures de cube blanc, aux fenêtres interminables, dressé comme une promesse. À l’intérieur de la construction, signée André Lurçat, un dédale de pièces au cachet indéniable et de recoins accessibles par une succession d’escaliers dévoilent les coulisses du spectacle: une galerie à l’étage, où s’amoncellent des décors ; des enfilades infinies de costumes ; un établi aux outils soigneusement rangés ; des câbles, des micros en pagaille ; une cuisine et un bar aux couleurs vives ; un studio de danse boisé et lumineux ; et partout des affiches des créations phares de Philippe Decouflé – Shazam, Wiebo, etc.
Car l’endroit de près de 1 000m2, construit en 1952, ex-usine thermique qui alimentait Saint-Denis en chauffage, sert, depuis 1993, de lieu de création au chorégraphe rendu célèbre par la mise en scène des cérémonies des JO d’Albertville (1992).
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L’endroit, à l’abandon, fut mis à disposition gracieuse par l’ancien maire Patrick Braouezec, désireux d’accueillir dans sa ville un artiste d’envergure internationale, susceptible de faire profiter le quartier de sa créativité. « À l’arrivée de Philippe Decouflé, La Chaufferie était une coquille vide. Nous avons effectué d’énormes travaux, y compris d’agrandissement. Nous l’avons aménagé selon nos besoins », éclaire l’administratrice de la Compagnie DCA, Estelle Le Goasduff. Et ce n’est pas Lahlou, directeur technique depuis 1997, âme du lieu, qui dira le contraire.
De La Chaufferie, il connaît tous les secrets : il a participé activement à sa construction et réfléchit, chaque jour, à son amélioration. Ses ingrédients ? De l’organisation, du professionnalisme, de l’amour. Le cœur de l’endroit réside dans son plateau scénique de 15m x 15m, avec sa hauteur sous plafond de 9m, susceptible d’accueillir des circassiens, que Philippe Decouflé aime tant. Ce jour, il dirige trois danseuses, en vue de la création Magic Mozart, à la Seine Musicale. De La Chaufferie, le « maître » parle avec passion : « C’est un lieu fabuleux. Cette quasi-salle de spectacle grandeur nature nous permet de tout tester – décors, éclairage, vidéos, etc. Bref, d’aller aussi loin que possible dans la création… »
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Cet outil précieux permet ainsi à DCA d’être l’une des plus grandes compagnies de danse indépendante, non subventionnée : libre de ses choix, mais forcément précaire… Furent ici créés tous les spectacles du chorégraphe. Et de ces aventures, il reste cet intangible : émotions, souvenirs… « Le spectacle vivant, c’est de l’humain, de l’amour, des rencontres. Mes pinceaux et mes couleurs, ce sont les danseurs », affirme avec émotion le créateur, qui confie que le lieu porte aussi l’héritage des amis, des membres essentiels de la compagnie, aujourd’hui disparus… Au début, le lieu (à la capacité publique de 49 personnes) s’ouvrait sur son environnement.
L’été, à l’occasion du Festival de Saint-Denis, il recevait du public en extérieur, avec des spectacles, un bar, une guinguette… Mais depuis, l’exigence des normes d’accessibilité aux personnes handicapées requiert des travaux au coût trop élevé pour réitérer l’expérience. Et malgré l’accueil de compagnies locales, et de fréquentes interventions en milieu scolaires, – comme au lycée Paul-Éluard où elle avait monté, en 2014, la pièce Contact avec 200 élèves – la compagnie se fait trop rare sur son territoire. Manque d’interlocuteurs institutionnels, passage à vide du chorégraphe, voyages à l’étranger, depuis deux ans : de multiples raisons expliquent cette absence. Mais M. Decouflé compte remédier à cette lacune.
Ouvrir le dialogue
Et voici ce qui provoque la colère de l’un de leurs voisins, Wenceslas Balima, metteur en scène de la compagnie Écho des sans mot, qui mêle théâtre, musique, conte. « Les habitants doivent pouvoir s’approprier la culture : ce n’est pas un luxe, s’agace-t-il. Notre compagnie travaille en ce sens. Et avec notre activité croissante, nous cherchons un lieu… » Ainsi lorgne-t-il sur La Chaufferie, dont la mise à disposition par la municipalité doit être renouvelée en décembre. Le ton se fait virulent : « Ce lieu occupé par Monsieur Decouflé depuis 1993 n’est pas tourné vers les habitants. Pour nous, il y a un système de népotisme de la culture, qui consiste à puiser dans la misère des pauvres sans se préoccuper d’eux. »
M.Balima a, pour l’endroit, de grandes ambitions sociales et culturelles : l’installation d’une épicerie et d’un garage solidaires, d’un lieu d’accueil des habitants et des artistes, d’une ludothèque, mais aussi, et surtout, la mise en œuvre d’une création tournée vers le quartier et l’espace public… DCA propose d’ouvrir le dialogue avec Monsieur Balima, et avec toutes les compagnies désireuses d’inventer un art partagé. Et si elle a conscience qu’à terme, La Chaufferie sera peut-être occupée autrement, la compagnie aimerait rester quelque temps encore dans ce lieu mythique, qu’elle a forgé à son image, si chargé d’histoires et de souvenirs.
Anne-Laure Lemancel
La Chaufferie (10 bis, rue Maurice-Thore)
Réactions
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