En ville

La tour Pleyel s’offre un autre tour

C’est un des hauts lieux – 128 mètres ! – de la région parisienne. Fleuron de l’architecture des années 70, la tour Pleyel, parfois bousculée par les tarifs de location des immeubles alentour, est bien décidée à mettre ses atouts en valeur.

« Elle décolle quand, ta fusée ? » La question met en joie Jean-Claude Le Corre, syndic de la tour Pleyel. Elle souligne le lustre redonné à « sa » tour. Pourquoi « sa » ? Parce qu’il y travaille onze heures par jour – « quand on aime, on ne compte pas » – et reste joignable au téléphone 24 heures sur 24, au cas où il arriverait le moindre bobo à « son bébé », comme dit sa femme. La nuit, le lustre retrouvé se concrétise par un bel éclairage des angles du bébé, qui souligne son profil effilé. C’est que chacune des façades est oblongue : la base mesure dix mètres de plus que le sommet. Effet Venturi garanti. Vous ne connaissez pas l’effet Venturi ? Rassurez-vous, les architectes de la tour non plus ! Mais eux, ils auraient dû ! C’est un phénomène de dynamique des fluides. Induit par la forme de la tour, il interdit tout atterrissage d’hélicoptère sur le sommet du bâtiment, pour raison de sécurité. Rien de fâcheux, sauf que les architectes, justement, avaient prévu une piste d’hélicoptère au sommet, qui n’a donc jamais servi. À la place, trône une immense enseigne publicitaire, appelée Le Caprice des dieux, vu sa forme de boîte à fromage ovale. Hauteur, 12 mètres. Diamètre, entre 18 et 29 mètres. Poids, socle compris, 300 tonnes ! C’est la plus imposante enseigne lumineuse et rotative d’Europe. Dès que le vent atteint les 40 km/h, elle se met en girouette, comme les grues. Depuis 1997, l’enseigne affiche une publicité Siemens. C’est la société Clear Chanel, via sa filiale Défi, qui en gère la location. Une coquette somme, qu’on nous taira. Il faut dire que, du haut des 128 mètres de la tour, l’enseigne bénéficie d’une excellente exposition. Elle est visible, potentiellement, à trois kilomètres à la ronde, par un million de personnes !
Retour sur le plancher des vaches. Le Centre d’affaires Paris Pleyel est constitué de deux entités : la tour, à l’ouest, et son annexe, à l’est, bien plus basse, où logent la Caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis (CAF 93) et un embryon de centre commercial. À l’origine, en 1967, quand Cogifrance a acheté la friche industrielle de 144 000 m2 laissée par la manufacture des pianos Pleyel, trois autres tours étaient prévues, qui devaient être aussi hautes que celle-ci. Les architectes et les investisseurs avaient un rêve : construire, à l’est de Paris, un quartier d’affaires qui ferait pendant à celui de La Défense, à l’ouest. Mais la crise pétrolière a limité leurs ambitions et la tour Pleyel, inaugurée le 1er novembre 1973, n’a jamais connu ses « sœurs » ! Comment vit-elle aujourd’hui ? Pas mal. Mais peut mieux faire… Cogifrance, il y a trente ans, a réalisé une belle opération immobilière en revendant à des propriétaires très disparates les trente-huit plateaux – étages – de la tour, qui accueillent, aujourd’hui, aux environs de quarante-cinq entreprises et associations. Parmi elles : des investisseurs institutionnels, comme HSBC, BNP Paribas, Crédit Agricole, Le Crédit Lyonnais-LCL, et des courtiers d’assurance, comme le Régime social des indépendants (RSI). Et encore deux Caisses centrales d’activités sociales d’EDF, le Centre de traitement des communications téléphoniques de Bouygues, le syndicat de chaleur d’Île-de-France Elyo, l’organisme de formation incendie et sûreté Force, bien connu des agents de sécurité. Ce qui n’empêche pas l’existence de zones blanches, qui désignent pudiquement les étages inoccupés et donc interdits d’accès. Ils sont au nombre de huit. Manque d’attrait ? Il y a de ça. La tour, même si elle porte beau, tout en béton armé, aluminium couleur rouille et verre, a vieilli. Or la Cité du cinéma de Luc Besson, qui se construit juste derrière, va drainer une flopée de bureaux neufs, plus attrayants. Le coût intervient aussi. Le bâtiment est classé Immeuble de grande hauteur (IGH), soit plus de 26,30 mètres – la taille de la grande échelle des pompiers. Il est aussi considéré comme un immeuble recevant du public. Ces classifications imposent des contraintes de sécurité supplémentaires, dont le coût se répercute sur celui de la location. Soit 59 euros HT par an et par m2. Économique, si on le compare aux 70 à 75 euros demandés à La Défense pour l’équivalent. Mais plus cher que certains immeubles alentour. La ligne est donc à la réduction des coûts et aux économies d’énergie. Mais pas seulement ! Il s’agit de faire valoir les atouts, nombreux, de la tour et de son annexe, comme l’arrivée du métro dans leurs bâtiments, de même que la desserte des bus, ou le parking de 789 places confortables réservées aux occupants des bureaux.
Signalons aussi la future crèche de vingt-cinq lits, prévue pour janvier 2009, en partenariat avec l’association Kangourou. Et l’extension du Carré Pleyel, 42 000 m2, où loge déjà l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS), en lieu et place des trois autres tours prévues au départ. Les amateurs de vaste panorama et de sensations fortes sympathiseront, quant à eux, avec Jean-Claude Le Corre, histoire qu’il les guide au sommet de la tour, interdit au commun des mortels. Sauf aux officiers de l’armée de l’air qui, les 14 juillet et autres jours de fête, viennent y surveiller les points aériens sensibles. Vue dégagée garantie !
Pascal Marion

Eclairage
La tour en quelques chiffres
La CAF 93, dans l’annexe, reçoit entre 800 et 1000 visiteurs par jour.
Le restaurant interentreprises, lumineux, peut accueillir 1200 couverts par jour, sur 480 places. Il fournit 650 repas quotidiens actuellement. 78 % des salariés de la tour et de l’annexe y déjeunent. Mais il est aussi ouvert, sur abonnement, à des sociétés extérieures.
Un bureau de La Poste, situé au pied de la tour, distribue leur courrier aux entreprises, et prend en charge celui qu’elles envoient, moyennant un contrat direct de l’ordre de 3000 euros par an.
Une nacelle de 265 kilos, où prennent place deux personnes, permet un lavage mensuel des vitres.
Et, rayon plomberie : 17 compteurs d’eau privatifs, 190 WC, 76 urinoirs, 152 vasques et lavabos, 2 douches.
P.M.