En ville
Crise de l'accueil /
La migration, une histoire humaine
Montrer des visages humains. Dès le départ, c’est-à-dire, un mois et demi avant le démantèlement des campements de l’avenue Wilson et de porte de la chapelle le 7 novembre, notre ambition est claire, mais loin d’être facile.
L’envie de mieux raconter ce que vivent au quotidien les réfugiés. La volonté de passer plus de temps sur le terrain, de discuter plus longuement avec ces femmes et ces hommes originaires d’Afghanistan, du Soudan, de Somalie, d’Érythrée, du Mali ou encore de Syrie, qui, pour de multiples raisons, notamment politiques, économiques et climatiques ont décidé de quitter le pays où ils sont nés. La nécessité de s’attarder moins sur les évacuations et mises à l’abri, dont les procédés se ressemblent et se répètent, que sur des situations vécues, sur les histoires retracées par les réfugiés. Elles concernent leurs familles, leurs parcours pour arriver en France, leurs rêves ou leurs échecs, ainsi que leurs demandes d’asile. Informer les lecteurs avec tous les éléments dont nous disposons. Ralentir et prendre le temps.
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Pour un journal local, se poser la question du traitement à accorder à un sujet tel que celui de la crise de l’accueil des réfugiés et ses conséquences au cœur d’une ville comme Saint-Denis est primordial mais loin d’être évident. Comment parler de la détresse psychologique de certains jeunes hommes qui expliquent avoir «traversé » l’Europe, être passé par « plein de pays » pour arriver dans l’Hexagone ? Faut-il s’attarder dans nos papiers sur le témoignage de ce réfugié somalien qui ne parle que par bribes, raconte par exemple avoir laissé derrière lui le jour de son départ un nourrisson aujourd’hui âgé de 7 ans avec lequel il garde contact « grâce à internet » ?
De quelle manière expliquer et relater les tensions entre riverains et migrants ? Ces petits désagréments ou autres « problèmes » relatifs à la présence depuis près de quatre ans à la Plaine, de campements qui se font et se défont. Enfin, quel terme est-il préférable de privilégier entre migrant et réfugié, car si les deux termes s’emploient et s’écrivent souvent à la va-vite, ils ne recoupent pas les mêmes réalités ?
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Évacuations à répétitions
Depuis l’apparition à l’automne 2016, des premières tentes sur la couverture de l’autoroute A1, au niveau de l’église de la Plaine et de la médiathèque Don Quichotte, le Journal de Saint-Denis s’est efforcé de relayer et de rapporter les faits : l’action de soutien aux réfugiés apportée par Solidarité Migrants Wilson, collectif d’habitants du quartier qui a réussi à créer une belle chaîne de solidarité. Avec des mamans, des étudiants et autres bénévoles, le collectif vient en aide aux personnes à la rue dans le nord-est parisien, distribue petits déjeuners et repas chauds, organise des cagnottes solidaires, fait le lien avec les réfugiés, les informe sur leurs droits. Il est aussi présent à chaque évacuation… Et tant d’autres choses.
Le journal de Saint-Denis a aussi fait état dans ses colonnes des opérations de « mise à l’abri » organisées avenue Wilson et porte de la Chapelle par la préfecture de région. La dernière, celle du 7 novembre était la 59e effectuée depuis 2015 dans le nord-est de la capitale. Environ 1 600 personnes ont été prises en charge de façon temporaire par l’État, c’est-à-dire emmenées dans des CAES (Centre d’accueil et d’examen de la situation) en Île-de-France – la région en compte cinq - ou des gymnases et centres d’hébergement.
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D’après Philippe Caro, conseiller municipal et membre du collectif Solidarité Migrants Wilson, certains réfugiés de la Plaine, en particulier ceux qui n’ont pas été pris en charges, auraient trouvé refuge porte de la Villette. Jeudi 28 novembre, après une énième opération policière porte d’Aubervilliers, associations et collectifs ont dénoncé des évacuations « sous-dimensionnées » qui ne respectent pas « l’inconditionnalité » de l’hébergement des personnes et au contraire pérennisent leur errance dans les rues.
Fin octobre, l’association France terre d’asile tirait la sonnette d’alarme à propos du nombre de personnes migrantes à la rue : elles étaient au total 2 500. « Du jamais vu ».
« Un accueil qui n’est pas digne »
Que dire de la « cohabitation » entre riverains et réfugiés à la Plaine, quartier où l’élan de solidarité a perduré pendant les moments de tensions et de ras-le-bol ? À plusieurs reprises, des témoignages d’habitants ont été recueillis dans la rubrique @vous du journal ou dans nos articles. Certains ont évoqué leurs inquiétudes quant à la multiplication des campements près de leurs lieux d’habitation, d’autres ont exprimé leurs inquiétudes, leur « peur » en raison de la proximité de la colline du crack, d’autres encore ont insisté sur leur difficulté à « voir » de façon quotidienne la misère en bas de chez eux et ont critiqué les conditions de vie dégradantes dans lesquelles ont subsisté les réfugiés.
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Après un incident grave mi-octobre ayant impliqué une maman, son enfant et un réfugié souffrant d’une maladie mentale, la discorde entre certains habitants et les réfugiés s’est de plus en plus fait sentir. « Je suis témoin d’un accueil qui n’est pas digne, qui n’est pas humain mais qui n’est pas de mon fait », a exprimé émue, une maman de la Plaine à une réunion controversée d’habitants du quartier, organisée quelques jours avant la dernière évacuation, dans une brasserie près du métro Front populaire. « Ce qui nous motive, c’est protéger nos enfants », a insisté une autre.
Aujourd’hui, si l’ambiance et le paysage du quartier ont changé, certains ont sur les lèvres une question à laquelle seul le gouvernement – qui a présenté début novembre de nouvelles mesures pour réviser les règles de l’asile - pourrait répondre : « Jusqu’à quand ? ».
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Peur du migrant
« Ils venaient souvent prendre des cafés à emporter. Certains faisaient la manche devant le tabac. Je leur disais “n’alpaguez pas les clients devant la porte, surtout pas à midi à cause de la clientèle.”», rapporte l’ancienne gérante d’une brasserie-tabac de l’avenue Wilson. « Je n’ai jamais eu de problèmes avec les migrants. Il y en avait juste un qui était difficile. Dans le quartier, des gens avaient peur. D’autres disaient “les pauvres”. Les gens ici les plaignaient plus qu’autre chose », poursuit l’habitante qui se demande pourquoi « on ne met pas les migrants dans des hôtels qui ont été désaffectés. Il y en a plein ici ! »
Pour ce patron d’un magasin alimentaire de proximité, la situation dans le quartier devenait « compliquée. Ça dépassait tout le monde ». Il évoque aussi la présence policière et des « bagnoles de CRS garées en permanence » dans les environs. Depuis le démantèlement des campements « on sent la différence », juge le commerçant qui se souvient aussi de certains réfugiés « qui étaient tout le temps bourrés. Ils avaient des cartes pour acheter à manger mais ils voulaient acheter de l’alcool. Moi je ne voulais pas ».
Rumeurs, « on dit », et images douteuses accolées aux réfugiés/migrants sont peut-être la résultante de cette « situation humanitaire catastrophique », pour reprendre l’expression employée par la municipalité début octobre lorsqu’elle a organisé une conférence de presse au pied des campements de l’avenue Wilson pour exiger une meilleure politique d’accueil en France. Certains Dionysiens ont d’ailleurs profité de cet événement pour proposer à la commune, membre de l’Anvita, (l’Association nationale des villes et territoires accueillants) de devenir une ville-symbole en s’emparant de la « question » des réfugiés.
« Saint-Denis pourrait donner l’exemple », assurait un habitant de longue date du quartier. Malgré les grillages et les blocs de pierre sur les trottoirs, le conseil reste valable.
Yslande Bossé