Portrait
Joëlle Pradaud/
La dernière consultation
La PMI (Protection maternelle et infantile) de la Plaine se prépare à fermer ses portes pour le temps du déjeuner. Les équipes s’affairent à accueillir une maman venue peser son bébé tout juste né un mois auparavant. Alors qu’elle n’exerce plus depuis début octobre, retraite oblige, le Dr Joëlle Pradaud, présente pour un repas organisé par ses collègues, remet la blouse pour une dernière consultation. Pesée, test de motricité, conseils post-natals, le médecin s’applique à s’occuper comme il se doit du nourrisson et à être à l’écoute de la jeune mère. Depuis près de quatre décennies, Joëlle Pradaud, surnommée « Jojo » par ses proches et ses collègues, fait partie des piliers de la médecine locale.
« Enfant, je voulais être soit médecin soit infirmière », se remémore-t-elle. Une vocation qu’elle a partagée uniquement avec sa sœur infirmière. Dans son entourage, personne d’autre n’a suivi ses traces, mais sa famille, et surtout sa fille, partagent son sens de la « justice sociale ». Lors de sa formation, c’est à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy où elle se tourne définitivement vers la pédiatrie. Elle se spécialise par la suite dans la santé et le développement de l’enfant.
Après ses études, à une époque où la profession est « bouchée », elle est débauchée en 1981 par l’ancien directeur de la santé de la Ville, le Dr Marc Schoene, suite à un stage effectué à l’hôpital Delafontaine. Un homme qui va avoir une grande importance dans sa carrière : « Lors de notre arrivée, il y avait de plus en plus de médecins affectés dans les équipes de PMI. Ce qui n’était pas le cas auparavant. Ils ne faisaient pas partie de l’équipe régulière. C’est le Dr Schoene qui a impulsé ce changement pour que les PMI soient des centres de santé de l’enfance. »
« On a besoin de tout le monde »
Elle débute par des remplacements avant de se fixer à mi-temps dans les PMI de la Plaine et d’Henri-Barbusse, située dans le quartier de la Mutualité. Le travail en équipe lui plaît particulièrement dans ces établissements de santé multidisciplinaires dédiés aux enfants de 0 à 6 ans et aux femmes enceintes, dont la présence dans les quartiers de Saint-Denis est vitale.
« Ce que j’aime dans la PMI, c’est qu’elle est ouverte à toute la population, qu’importe la classe sociale, il faut vraiment que cela reste comme cela », espère le médecin originaire de Garges-lès-Gonesse dans le Val-d’Oise. Sa crainte serait qu’à terme, ces centres perdent en « mixité sociale » et qu’elles rentrent dans un cercle de paupérisation. « C’est dans ce genre d’endroits que les gens peuvent se rencontrer et échanger autour de l’enfant. À Saint-Denis, à mon sens, il n’y a pas beaucoup de lieux comme ceux-ci », estime-t-elle, avant de poursuivre : « Maintenant, avec les contraintes économiques et le manque de personnel, c’est plus difficile. »
Joëlle Pradaud reconnaît que la municipalisation des PMI de Saint-Denis est un atout – une spécificité dans le 93 – alors que ce sont des services généralement gérés par le Département. Cependant, certaines pratiques – comme le rôle du médecin ou les consultations aux plages horaires élargies, notamment le soir pour des parents pris par leurs contraintes professionnelles – se perdent et elle le regrette. « Avant, je travaillais en étroite collaboration avec les puéricultrices qui, par ailleurs, m’ont formée sur la santé et la protection de l’enfance. Aujourd’hui, chacun est de son côté, c’est dommage. Selon moi, ce n’est plus de la PMI. Dans une consultation médico-sociale, on a besoin de tout le monde. »
Engagée pour le maintien de sa discipline, elle incite à « rendre plus attractif » le poste de médecin de PMI. En ce sens, une plateforme nommée « Assurer l’avenir de la Protection maternelle et infantile », regroupant plusieurs organismes de la profession, a été fondée en 2011. Si Dr Pradaud ne devait nourrir qu’un regret, c’est de n’avoir pu transmettre à un jeune médecin débutant son savoir. Mais elle n’exclut pas de le faire plus tard dans un rôle encore à définir.
Quel bilan tire-t-elle de sa longue carrière ? « J’ai adoré travailler à Saint-Denis. C’était une incroyable expérience humaine. J’en repars en y laissant non seulement des collègues, mais aussi des amis. » Elle n’en oublie pas les familles : « Bien qu’il y ait beaucoup de travail, la population reste néanmoins très attachante. Ils m’ont beaucoup apporté et j’espère que moi aussi. » Malheureusement, la crise sanitaire l’a empêchée de partir comme il se doit, avec un au revoir officiel aux habitants et une réception digne de ce nom. Faisant partie d’un trio dionysien de médecin de PMI, nommé « les trois mousquetaires » avec le Dr Pinoteau, qui a tiré sa révérence également cette année, et le Dr Batisse à qui elle souhaite « bon courage », elle laisse un grand vide dans le cœur de tous. La blouse désormais raccrochée, bon vent au Dr Joëlle Pradaud !
Christopher Dyvrande
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tiv (Pseudonyme non vérifié)
24 octobre 2020