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La bienveillance, morale subversive du conte Neg Fey
Quand la tradition et l’imaginaire se conjuguent, il en résulte parfois un remède aux maux de la société. Et justement… « Neg Fey, en créole haïtien, c’est l’homme qui guérit avec les plantes
», explique le musicien Jackson Thélémaque, auteur du livre éponyme paru en décembre aux éditions de L’Avant-Courrier. Le neg fey est une sorte de chaman comme il en existe encore dans certaines contrées reculées du globe, bien loin de la frénésie industriello-consommatrice et de son langage binaire abscons. À Petitnulpart, village intemporel qu’on imagine situé sur une île des Caraïbes, les habitants sont confrontés à une malédiction. La faute à leur manque d’empathie envers cet étranger vêtu de haillons venu leur rendre visite et qui se révèle être l’esprit protecteur du village. En représailles à leur mépris, les villageois sont condamnés à vivre dans la folie, privés d’une langue commune. Parti méditer dans une grotte, seul le sage Neg Fey échappe au mauvais sort. Pour sauver Petitnulpart, l’esprit lui ordonne de trouver trois « objets mystérieux » avant la prochaine pleine lune. Armé de son seul respect pour la nature et de son humilité, le guérisseur devra repousser sa peur de l’inconnu et sera mené à se rendre à Grandnulpart, ce monde qu’il redoute tant. Sa quête initiatique le conduira vers un voyage introspectif…
Les illustrations de la dessinatrice franco-gabonaise Maya Mihindou ponctuent le récit. D’habitude torturés et surréalistes, les traits de la graphiste parisienne subliment avec tendresse le texte. « Ce conte est très influencé des histoires de mon enfance, il y a quelques formules que l’on trouve dans les contes antillais. J’ai utilisé des codes traditionnels pour l’écrire,
raconte Jackson Thélémaque, qui a quitté Haïti lorsqu’il avait 10 ans. Le message de Neg Fey c’est qu’il faut être bienveillant avec l’étranger. La bienveillance c’est la subversion contemporaine.
» Dans son village natal Fonds-des-Nègres, Jackson Thélémaque, alias Le Guerrier de l’Imaginaire, a grandi dans un syncrétisme religieux caractéristique de l’île. Une fusion qui a longtemps défini les rapports entre les habitants tiraillés entre les cultures vaudou, catholiques, protestantes, évangéliques…
Cette fable, qui jongle avec le français et le créole, résonne avec ce que nos sociétés modernes sont devenues. Des forteresses, où l’on jette l’anathème sur l’étranger. Où les Cédric Herrou, héros anonymes du quotidien, se retrouvent les poings liés dans le box d’un palais de justice pour une main tendue. Débutée en 2010, l’écriture de Neg Fey a pu aboutir grâce au concours des éditions de L’Avant-Courrier. La jeune structure indépendante, à peine deux ans d’existence, ambitionne d’accompagner de nombreux artistes séquano-dionysiens à travers plusieurs projets, dont l’édition d’ouvrages mais aussi la création d’ateliers pour enfants. Julie Dumetz et Luna Granada ont fusionné leurs forces et ont publié déjà trois ouvrages jeune public : Le chant de l’arbre, Tête nue et Neg Fey. Ce dernier ouvre la collection « Quais des mondes », qui donnera la part belle aux musiciens. Malgré les difficultés, les deux associées assurent que « c’est une aventure amusante, enrichissante et pleine de péripéties
», un peu comme un conte.
Maxime Longuet
Neg Fey, éditions de l’Avant-Courrier, 12€. Disponible à l’Office du tourisme, à la Coopérative Pointcarré et à la librairie Folies d’encre.