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Mémoire vivante
/ L’histoire se passe à la Plaine

Les bénévoles de l’association Mémoire Vivante de la Plaine organisent régulièrement des expositions photographiques, des conférences et des rencontres autour de ce quartier à l’histoire riche, notamment industrielle. Et des balades thématiques, pendant lesquelles on peut apprendre que des druides ou du gibier vivaient dans ce territoire jadis farouchement indépendant…
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Il a le débit mitraillette, des anecdotes en cascades et le don pour le récit comme en sont dotés les gens que la passion anime. Jean-Jacques Clément, éternelle casquette de cheminot héritée du paternel vissée sur la tête, fait vivre la mémoire de la Plaine, ce quartier coincé entre Saint-Denis et Paris qu’il connaît presque sur le bout des doigts.

« On n’est pas censé tout connaître non plus », convient ce passionné qui s’alimente des témoignages des habitants, nouveaux comme anciens, pour enrichir les balades thématiques conçues pour l’association Mémoire Vivante de la Plaine dont il fait partie depuis 2003.

Avec d’autres bénévoles tout aussi passionnés, il organise des expositions photographiques, des conférences et des rencontres pour le monde étudiant, les sociétés alentours et les habitants. « Nos prédécesseurs, les cofondateurs Abel Tissot et Raymond Le Moing, ancien dirigeant du chemin de fer industriel de la Plaine Saint-Denis, ont beaucoup travaillé sur la période industrielle pour en conserver la mémoire. Avec l’actuel président de l’association Jacques Grossard (ancien directeur de Plaine Commune de 2000 à 2003, ndlr), nous avions voulu élargir nos horizons car nous nous sommes aperçus que ce territoire c’est aussi de la géographie et de l’hydrologie », explique-t-il avant d’accueillir un groupe pour la balade organisée autour du parc du Temps des cerises. « Aujourd’hui, nous arrivons à brasser différents publics, salariés et habitants. »

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Comme pour chaque visite, le point de départ se fait à l’ancienne gare de la Plaine construite en 1913 puis fermée en 1998 et qui aujourd’hui sert de lieu d’accueil pour des associations telles que Mémoire Vivante de la Plaine, Partenaires Pour la Ville, Proxité, Plaine de Femmes et même une Amap. Le lieu en l’état a été inauguré en 2015, et reste la propriété de la SNCF qui loue les locaux à la Ville (6 000 euros à l’année). Comme pour beaucoup d’infrastructures à la Plaine, la gare Plaine-Voyageur est l’héritage de la période industrielle.

« À partir de 1860, le pont de Soissons reliait l’axe Paris-Soissons, et desservait même les villes d’Anor et Hirson dans le Nord. Il ne faut pas oublier que ce sont les grandes industries basées en Belgique ou dans le Nord de la France qui ont créé ces chemins de fer pour transporter les matières premières, rappelle Jean-Jacques Clément. Ce n’est que plus tard que la population a pu bénéficier de ces lignes. » Ces rails sont les stigmates d’une ère où la Plaine comptait jusqu’à 160 cheminées qui crachaient dans l’air une fumée chargée en soufre des usines chimiques et métallurgiques du secteur. Ce quartier avait même été rebaptisé le Manchester français au début du XXe siècle.

« Tous les sols et les nappes phréatiques sont pollués »

Et bien sûr, cette industrialisation massive du territoire a eu des conséquences néfastes sur l’environnement. « Tous les sols et les nappes phréatiques sont pollués. Certaines remontent même à la surface lors de travaux important en sous-sol. Aujourd’hui, vous ne pouvez pas cultiver à même le sol. Les jardins partagés sont une exception qui ne durera peut-être pas dans le temps, explique notre passeur de mémoire. Nous sommes passés d’un marécage très riche à l’une des terres les plus polluées de France. »

Lors de ces balades, les visiteurs apprendront que des cérémonies druidiques y avaient eu lieu, que le clergé a longtemps possédé la partie Nord de la Plaine avant que celle-ci ne soit échangée avec le roi pour en faire un grand domaine de chasse, puis comment des habitants ont demandé leur indépendance administrative au moment de l’annexion du village de La Chapelle dans le cadre de l’extension des arrondissements par la Ville de Paris en 1859, ou encore comment pendant des millénaires la Seine a abreuvé cette plaine pour en faire un immense marécage.

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Aujourd’hui, sur les 700 hectares de la Plaine, quelques parcelles appartiennent encore à Paris et à la SNCF et débordent sur les villes d’Aubervilliers, de Saint-Ouen et de Saint-Denis. Alors quelle est sa réelle identité ? « Cette terre est surtout une terre de passage, elle l’a toujours été, croit fermement Jean-Jacques Clément. Depuis la route de l’Estrée avec les Romains, aux chemins du Moyen-Âge, et à l’autoroute du Nord aujourd’hui, la Plaine a toujours été un axe de passage car il favorisait le commerce bien entendu et cela a drainé beaucoup de populations. »

Non loin de l’ancienne Gare Plaine-Voyageur, des hommes loin de chez eux, dans des tentes de fortune, attendent eux aussi de passer. Passer la Manche pour rejoindre l’Angleterre, ou passer symboliquement le périphérique parisien pour y travailler. Ils font partie eux aussi de cette mémoire vivante de la Plaine comme jadis ceux venus d’Espagne, du Maghreb ou de Bretagne.

Maxime Longuet

Infos : Facebook @memoirevivantedelaplaine ou www.plaine-memoirevivante.fr

Réactions

Excellent 'zoom' ! Et,cette fin d'article bien choisie : "beaucoup de populations. » Non loin de l’ancienne Gare Plaine-Voyageur, des hommes loin de chez eux, dans des tentes de fortune, attendent eux aussi de passer. Passer la Manche pour rejoindre l’Angleterre, ou passer symboliquement le périphérique parisienne pour y travailler. Ils font partie eux aussi de cette mémoire vivante de la Plaine comme jadis ceux venus d’Espagne, du Maghreb ou de Bretagne. M. L.