Portrait

Sandra Reinflet
/ Inventeuse d’histoires vraies

À 38 ans, Sandra Reinflet a réalisé son rêve de devenir artiste de bien des façons. Avec principalement la photo et l’écrit, elle partage ses histoires, met en lumière un patrimoine humain et engagé.
Sandra Reinflet (y) Yann Mambert
Sandra Reinflet (y) Yann Mambert

Quand elle était petite, Sandra Reinflet affirmait son désir de devenir chanteuse, écrivaine, photographe… « On me laissait dire, et puis on m’a ensuite fait comprendre qu’il fallait que je trouve un “vrai” métier, alors je suis allée en école de commerce, à Angers », raconte-t-elle. À 20 ans, un accident de la route marque un tournant dans sa vie. « J’ai senti que je me trompais de voie, que je n’étais pas à la bonne place.»

Elle finit d’abord son cursus mais avec une orientation déjà différente : un stage à Solidarité Sida et un séjour d’études d’un an aux Philippines où elle étudie le journalisme et le graphisme, donne des cours en prison à des femmes et des enfants, avec une association qui les aide à se réinsérer. « J’ai rencontré des femmes qui avaient une résilience incroyable. J’avais envie de recueillir leurs témoignages… De là est venue l’idée de faire un tour du monde pour en rencontrer d’autres.»

Une fois son diplôme en poche et après une expérience de chargée de communication à Solidays, elle part 14 mois avec son amie Yuki, qui se charge de prendre les photos qui accompagneront les textes de témoignages écrits par Sandra. Nées toutes les deux en 1981, elles recueillent la parole de 81 femmes qui ont également 25 ans et accomplissent leurs rêves malgré un parcours difficile. Pour réaliser ce projet, elles cherchent des subventions et décrochent aussi des parutions régulières dans le journal Métro. Un premier livre est publié plus tard en 2010 : Same Same But Different (identique mais différent). Cela a inspiré Sandra. «En rentrant, je me suis dit que je n’avais pas d’excuse, je devais continuer à suivre mes rêves.»

C’est aussi au cours de ce voyage qu’est née sa passion pour la photo. « J’ai remplacé un peu mon amie à la fin. Je ne connaissais rien à la technique, mais il se passait quelque chose dans le cadre, c’était intuitif, j’aimais bien le côté très charnel, sensoriel, de la photo. C’est un média du présent.» Après ce premier projet, Sandra se lance dans une carrière d’« inventeuse d’histoires vraies ». Si elle montait sur scène pour chanter avant son tour du monde, elle se concentre désormais sur l’écrit et la photo.

Elle mène un second projet de livre Je t’aime maintenant, où elle retrouve 24 personnes qu’elle a aimées, raconte un moment de leur histoire, avec une photo prise à l’heure du souvenir. Avec son 3e livre photos-textes sur son école primaire laissée à l’abandon, Qui a tué Jacques Prévert ?, elle décroche le prix coup de cœur de la Bourse du Talent photographie en 2014 . Elle continue à voyager. Entre 2012 et 2014, avec Aurélie, elles sillonnent l’Europe en auto-stop pendant deux étés. De ce projet, Les P’tites Poucettes, naissent des reportages, puis un roman. Parmi ses autres projets, on peut aussi citer VoiE.X, portraits d’artistes qui créent dans des pays où les contraintes sont nombreuses.

Des ateliers d'action culturelle

Pour gagner sa vie, Sandra anime des conférences autour des thématiques de ses projets. Elle mène aussi beaucoup d’ateliers d’action culturelle pour un public éloigné du monde de la création artistique (personnes âgées, jeunes des quartiers populaires, immigrés, personnes en prison…), pour « leur donner la parole. Il s’agit souvent de projets collectifs en lien avec le territoire d’une ville, pour mettre en valeur le patrimoine humain. Pour comprendre une ville, il faut faire la somme de vies individuelles. C’est quelque chose d’encore plus vrai à Saint-Denis ».

Après une enfance dans le Maine-et-Loire, puis plusieurs années une fois adulte en région parisienne, Sandra a posé ses valises à Saint-Denis il y a trois ans, à la Plaine. Elle a travaillé, en février dernier, en atelier photo avec des élèves du lycée Suger, pour illustrer leurs textes d’autobiographie langagière. Un projet qui questionne encore l’identité, le récit de soi dans un lieu. Son premier projet sur le territoire : une commande de la Place Santé pour son nouveau local à Franc-Moisin, inauguré à l’automne 2019.

« L’idée était que les habitants investissent le lieu. » Après plusieurs ateliers d’écriture, elle a ensuite dressé des portraits de treize Dionysiens de la cité ainsi que de trois travailleurs de la structure. « Il y a des personnalités fortes dans ce quartier qui regorge d’histoires. La solidarité est la règle qui prime sur toutes les autres », constate l’artiste, fascinée par Franc-Moisin. Elle y retourne régulièrement et a notamment pris des photos pendant la période du confinement, au centre de santé et pendant des distributions de nourriture. « J’aimerais donner une image plus valorisante de ce quartier.» 

Delphine Dauvergne

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