Portrait

Gaël Hamon
/ Il a sauvé Notre-Dame…

…Virtuellement. Gaël Hamon a décidé en 2016 de numériser la charpente de Notre-Dame de Paris. Sans cette initiative personnelle, toute trace de la « forêt » aurait disparu avec l’incendie qui a ravagé la cathédrale.
Gaël Hamon © Yann Mambert
Gaël Hamon © Yann Mambert

Le 15 avril 2019, le monde entier se tourne vers Paris : Notre-Dame est en feu. Seul le courage de quelques pompiers téméraires permet à la cathédrale de ne pas être totalement ravagée. La charpente, qu’on surnomme « la forêt », est, elle, complètement détruite par les flammes. Pour toujours ? Peut-être pas.

« On a un double numérique parfait de la totalité de la charpente qui a brûlé. En trois dimensions, et en version millimétrique », explique Gaël Hamon, le fondateur d’Art graphique & Patrimoine (AGP), sur l’antenne de LCI deux jours après l’incendie. Cette déclaration est fracassante. Car ces données numériques vont venir enrichir l’enquête de police, aider à la préservation des parties qui sont encore debout, et potentiellement permettre de reconstruire à l’identique la grande forêt de Notre-Dame de Paris. Sauf qu’il s’en est fallu de peu pour que ces données ne soient jamais numérisées.

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« En 2016, on avait été missionné pour numériser l’extérieur de la cathédrale, pas l’intérieur ! Je savais que ça n’avait jamais été fait alors j’ai demandé à mes équipes de faire aussi des relevés de la charpente, même si on n’était pas payé », dévoile le Dionysien. Était-ce du flair ou de l’entêtement ? Parfois, un miracle tient à pas grand-chose. Une fois les relevés faits, les données dorment dans un disque dur… jusqu’à l’incendie.

« Trois jours après, on reçoit un courrier du Préfet qui nous demande d’intervenir de toute urgence pour faire de nouveaux relevés. On part en mission commando le samedi toute la journée : prise de vue en drone, relevés numériques, du sol à l’extrados des voûtes, avant que les bâches viennent protéger (mais aussi masquer) les zones brûlées. »
 

Un ancien tailleur de pierre

Cet épisode jette une lumière vive sur le métier qu’a en partie inventé Gaël Hamon vingt-cinq ans plus tôt. À l’époque, le jeune homme de 24 ans sort tout juste de l’armée. Ce fils et petit-fils de tailleurs de pierre, pas particulièrement motivé à l’école, a déjà une belle carrière professionnelle au compteur. « À partir du moment où j’ai commencé la taille de pierre, tout m’a réussi. J’ai fini major de promo de mes écoles d’apprentissage. Et j’ai gagné le concours international des Olympiades des métiers en Hollande en 1991. »

De retour à la vie civile, il se fixe un nouvel objectif : faire rentrer la taille de pierre dans le monde de l’informatique. Épaulé par l’entreprise Quelin, il monte donc AGP en 1994. « Il faut se remettre dans le contexte. À l’époque, il n’y a pas de photographie numérique ! On doit faire développer les pellicules, puis les numériser en labo… Ça coûte une blinde », explique l’homme à la carrure de rugbyman, à la parole brute comme un bloc de marbre pas encore totalement taillé.

Si les débuts sont peu florissants pour l’entreprise – qui perd ses deux premiers employés en quelques mois – AGP va petit à petit prendre de l’ampleur. Jusqu’à atteindre les vingt-cinq salariés aujourd’hui. L’ancien tailleur de pierre, reconverti en entrepreneur à succès, n’a cependant pas totalement tiré un trait sur son ancien métier.

Intervention sur plus de 2000 monuments 

« La taille de pierre ça me manque, c’est sûr. Je reprends les outils pour montrer des petites choses à mes enfants. Je vois bien que ça me démange. » Depuis sa création, l’entreprise est intervenue sur plus de 2000 monuments et sites historiques. Aussi bien des relevés techniques sur le patrimoine bâti que des numérisations d’œuvres, des reconstitutions en 3D de monuments détruits ou partiellement disparus, ou encore la création d’applications ou de dispositifs de médiation (comme des petits films en trois dimensions) pour les musées.

À son tableau de chasse, parmi les plus grands monuments français : l’intérieur du Mont-Saint-Michel, le pont du Gard, les Arènes de Nîmes, le Théâtre antique d’Orange. Mais aussi la reconstitution de la flèche de la basilique de Saint-Denis pour l’émission Des Racines et des Ailes, diffusée sur France 3 le 13 novembre. AGP ne s’arrête pas aux frontières de la France.

L’entreprise est déjà intervenue en Afghanistan, au Somaliland, ou encore en Syrie, pour numériser la cité antique de Palmyre, missionnée par la Fondation Aga Khan pour la culture. Le carnet de commandes est déjà bien rempli pour les prochains mois : relever les 180 000 m² du palais de justice de Paris et cinq cathédrales des Pays de la Loire (Angers, Nantes, Laval, Luçon et Le Mans), sans compter les projets de médiation culturelle à l’Opéra Garnier ou pour la basilique de Saint-Denis… Et peut-être garder une trace numérique d’un autre chef-d’œuvre du patrimoine mondial avant qu’il ne soit détruit par un accident.

Arnaud Aubry

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Bravo ! Les Dionysiens ont du talent !!!!