Tribunes
Ghetto-Gare
Où voit-on des centaines de jeunes femmes et de jeunes hommes crever dans la rue ? Bientôt il sera trop tard : les trottoirs sont des mouroirs... Et les enfants y sont tricards. C’est à la gare que ça se passe, dans ce quartier qui fut beau. Depuis trois mois, les habitants sont fatigués et déprimés par tant de mauvaises vibrations. Le crack et l’héroïne ont débarqué avec leur compagne prostitution, nuit et jour ils officient dans la rue. Pourquoi faut-il subir chaque jour le corps à corps glauque des junkies dans les cages d’escaliers, les caves, les chantiers, les voitures, le canal ? Pourquoi les habitants d’un quartier déjà en butte à toutes les difficultés (paupérisation, vétusté des logements, incendies, nuisances sonores de la gare...) doivent-ils lutter eux-mêmes contre un trafic de drogue digne des favelas ? Sans fausse pudeur et sans juger ces victimes malades, les habitants parlent et s’interrogent. Faut-il attendre de trouver des cadavres dans nos caves pour agir ? Nos contacts avec la police sont le plus souvent stériles. Le business augmente chaque jour et donne l’impression que les forces de l’ordre sont dépassées par les événements.
Si l’on réfléchit un peu à ce tragique spectacle, on s’aperçoit qu’il est intimement lié à celui de l’habitat en déshérence. Et ce qui s’est passé à Paris dans les quartiers Goncourt, la Goutte d’Or, Marx-Dormoy, est en train de se reproduire à plus vaste échelle à la gare de Saint-Denis : les trafics s’installent durablement, les prix des terrains constructibles baissent inévitablement. Les investisseurs achètent et, au bout de dix ans, vous obtenez un magnifique quartier neuf et sans âme d’immeubles ultra-sécurisés pour cadres ou bobos. Cette logique dévoratrice de vies humaines nous fait horreur. Nous aimons l’ambiance incroyablement métissée de ce quartier unique. Nous aimons la solidarité de ses habitants et son atmosphère villageoise. Nous aimons la convergence des luttes qui s’y mènent.
Il ne faut pas s’attaquer uniquement à l’épiphénomène. Nous avons besoin d’une vraie prise de conscience politique (que cette expression paraît galvaudée !) qui se batte sur tous les fronts : notamment sur celui de la résorption de l’habitat insalubre dont on ne peut pas dire qu’elle avance à grande vitesse dans ce quartier.
I.G. (une habitante qui ne veut pas fuir)