En ville
La question de la semaine/
Faut-il revoir la politique de préemption ?
Stop Préemption. C’est le nom d’un collectif (1) apparu le 9 janvier sur les réseaux sociaux pour dénoncer les abus et le détournement du droit de préemption urbain (2) par la Ville de Saint-Denis. Ses membres s’agacent de voir que « la quasi-totalité des ventes de biens immobiliers se soldent par une préemption de la mairie avec une proposition de prix à la baisse et le plus souvent réduit aux deux tiers. Dans la plupart des cas, le vendeur se retrouve bloqué par la mairie, dans le désarroi total […] L’usage de la préemption est dévoyé au sein de la mairie de Saint-Denis et constitue une atteinte au droit constitutionnel de propriété privée. »
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Qu’en est-il dans la réalité ? Selon la municipalité, sur la durée de l’actuelle mandature, le taux de ventes immobilières préemptées a oscillé entre 2% en 2016 et 6% en 2014 et 2019. En 2019, ce sont donc moins de 90 transactions sur 1 450 au total, qui ont fait l’objet d’une procédure de préemption. Toujours selon la mairie, 50 % de ces préemptions participaient d’opérations de requalification. Dans 30% des cas, la collectivité s’est opposée à l’achat de lot par des propriétaires connus défavorablement et seuls 20 % des cas ont concerné des prix jugés surévalués ou sous-évalués, soit une vingtaine chaque année.
« Maîtriser l’offre dans le privé »
Le maire Laurent Russier (PCF) assume : « On ne peut pas laisser le marché seul organiser les prix de l’immobilier. Nous sommes à un moment de l’histoire où, si nous ne faisons pas attention, la métropole parisienne deviendra excluante. Les villes communistes ont toujours pensé qu’il fallait maîtriser l’offre dans le privé. Le droit de préemption est un outil parmi d’autres. Plaine Commune assure la maîtrise des prix de sortie dans le neuf. »
Et la tête de liste Vivons Saint-Denis en grand espère avoir encore plus de cordes à son arc dans les prochains mois : « Le projet de loi du député Lagleize (Modem), actuellement examiné au parlement, propose plusieurs pistes intéressantes dont celle de faciliter le droit de préemption pour les collectivités. Je suis favorable également aux offices fonciers solidaires, avec maîtrise publique, qui distinguent la propriété du bâti et celle du terrain pour permettre de baisser les prix. Enfin je pense que l’encadrement des loyers est le meilleur moyen de contrôler indirectement l’inflation des prix de l’immobilier. »
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Concernant le caractère légal de son action, Laurent Russier rappelle que « la Ville n’est que très rarement attaquée pour ses préemptions » et que « les personnes qui attaquent gagnent rarement. Mais je n’en voudrais jamais à un vendeur qui veut tirer un bon prix de son bien. Simplement le côté noble de la politique est de garantir des prix raisonnables pour tous ».
Une analyse que récuse Houari Guermat (UDI), ainsi que tous les arguments de la municipalité : « Moi, le droit de préemption, je le supprime, parce qu’il est détourné de son but originel. On ne peut pas préempter pour réguler le marché ou alors il faudrait que toutes les villes le fassent. La municipalité abuse de son pouvoir. Et les gens n’attaquent pas les décisions car les procédures sont longues et coûteuses. Les bas prix, ça favorise qui ? Les marchands de sommeil. Alors, pour attirer les classes moyennes, on est obligé de continuer à construire. Préempter c’est donner un mauvais signal. Il faut laisser faire le marché. La population ne changera qu’à la marge. »
Alexandre Aïdara (LREM) est sur la même fréquence que la tête de liste Saint-Denis autrement : « La propriété est un droit inaliénable, sauf pour des raisons d’intérêt général. C’est donc très délicat d’empêcher les gens de faire ce qu’ils veulent de leur bien. La préemption n’est pas le bon outil pour calmer les prix. C’est une épée de Damoclès qui rebute les classes moyennes et ma bataille prioritaire est justement la mixité sociale. »
« Accession à la propriété des classes populaires »
Et la tête de liste Changeons Saint-Denis d’avoir sa solution pour éloigner le spectre de la gentrification : « Il faut faciliter l’accession à la propriété des classes populaires. Je suis favorable aux futurs offices fonciers solidaires portés par le public ainsi qu’à l’encadrement des loyers. Et j’invite ceux qui se pensent victimes de préemption abusive à saisir la justice. »
Le caractère abusif de certaines préemptions est ce qui gêne aussi Mathieu Hanotin (PS). « Les préemptions qui visent à pratiquer un contrôle des prix ne sont pas légales, rappelle la tête de liste Notre Saint-Denis. Je partage les bonnes intentions de la municipalité mais cette politique n’est pas pertinente. Les prix à l’achat sont bloqués, mais les loyers ne sont pas contrôlés. Le rapport locatif augmente, ce qui encourage les investissements locatifs. On ne s’attaque pas à la cause. C’est comme si on cassait le thermomètre pour lutter contre la fièvre. Les prix dans l’ancien sont sous-évalués, mais ce n’est pas dû qu’à la politique de préemption. C’est d’abord la conséquence de l’environnement et de la mauvaise image de Saint-Denis. »
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Bally Bagayoko (LFI) réclame lui « pédagogie et transparence totale » en matière de préemption, car le fond du problème est de savoir « si elles sont abusives ou pas. Nous devons être capables de garantir l’usage de cet outil à bon escient et ne pas laisser penser qu’on préempte pour les copains, ajoute la tête de liste Faire Saint-Denis en commun, qui regrette le manque d’outil des collectivités pour contrarier les logiques de marché. Heureusement que la puissance publique est encore là pour donner un cadre. Les gens doivent pouvoir acheter et vendre, la question est celle du seuil tolérable. Nous n’avons pas vocation à devenir comme Pantin ou Paris. »
Yann Lalande
La maison de la discorde
L’histoire de Charles De Cayeux est de celle qui jette une ombre sur la politique plutôt légitime de préemption menée par la Ville pour contrôler le marché immobilier dionysien. En juin 2018, cet habitant du XVIIIe arrondissement de Paris signe un compromis de vente pour l’achat d’une maison (60 m2) et de sa parcelle de terrain (350 m2), quai du Square, près de la Porte de Paris. Montant de la transaction : 305 000 €. Le projet de l’acquéreur est de construire un petit programme immobilier de 280 m2 de surface plancher sur la parcelle. Charles De Cayeux a travaillé son projet en amont avec le service de l’urbanisme de la Ville qui l’a validé. Il ne voit donc aucun obstacle se dresser sur la route de la nouvelle vie qu’il entrevoit à Saint-Denis avec sa compagne.
Le 6 septembre 2018, patatras ! Son notaire est destinataire d’un courrier de la Ville de Saint-Denis. Cette dernière entend exercer son droit de préemption urbain. L’argument détaillé dans le courrier de la collectivité est celui qu’elle présente le plus souvent quand elle préempte un bien : la nécessité de disposer d’un parc important de logements relais pour permettre la mise en œuvre du nouveau programme de rénovation urbaine (NPNRU). Le vendeur a dès lors trois options : accepter la transaction proposée par la Ville, au prix de 200 000 € le cas échéant (soit 100 000 € de moins) (3), contester ce prix auprès de la juridiction compétente qui le fixera, ou annuler la vente.
Dans les faits, une quatrième voie est souvent de mise. Le vendeur et/ou l’acheteur se rapprochent de la Ville pour voir à quelles conditions un nouveau compromis de vente pourrait être établi. Une pratique qui génère parfois à l’insu de la collectivité des compensations entre le vendeur et l’acheteur. Concrètement, un bien préempté à 200 000 € ne le sera plus à 185 000 € par exemple. Entre-temps, l’acquéreur se sera mis d’accord avec le vendeur pour verser la différence « au black ».
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Un nouvel acheteur qui fait tache
Charles De Cayeux décide d’aller plaider sa cause auprès des responsables de la mairie, avec lesquels il se met d’accord, considérant que le prix de vente élevé tient compte de la future création de surface plancher. Problème, le vendeur n’est plus vendeur… Enfin pas à Charles De Cayeux. En effet, enjanvier 2019, la maison et sa parcelle sont vendues à une somme à peine inférieure à la transaction précédente et cette fois pas de préemption. Mais c’est la qualité de l’employeur du nouvel acquéreur qui intrigue Charles De Cayeux : le nouveau proprio travaille au sein de la direction générale de la Ville de Saint-Denis. La Ville qui assure avoir ignoré les démarches de son agent vis-à-vis de ce bien (il s’est intéressé au bien dès le début de l’année 2018), plaide le fâcheux concours de circonstances et l’impossibilité de faire revenir le vendeur sur sa décision de ne plus vendre à Charles De Cayeux.
Ce dernier fait une autre lecture des faits et a décidé d’engager à l’automne 2019, en dépit du coût et de la lenteur de la procédure, un recours auprès du tribunal administratif de Bobigny. Charles de Cayeux pointe l’utilisation abusive du droit de préemption par la Ville et un détournement de pouvoir. En compensation des 6 000 € de frais d’architecte engagés, de la non réalisation du programme immobilier projeté (deux maisons individuelles R+3) et du préjudice moral, il réclame une somme de 851 000 € à la collectivité. Réponse de la justice attendue sous plusieurs années. En attendant, Charles De Cayeux a fini par acheter une maison, à Épinay-sur-Seine.
YL
(1) Le collectif Stop Préemption a préparé une charte contre les préemptions abusives qu’elle soumettra prochainement aux candidats à la prochaine élection municipale. Retrouvez ci-dessous (en PDF) le document en question.
(2) Le droit de préemption urbain, prévu par la loi, permet à la commune d'acquérir prioritairement un bien foncier ou immobilier au moment de sa mise en vente. Lors d’une transaction, la commune doit s'exprimer sur sa volonté d'user de son droit de préemption. Si elle choisit de le faire, elle devient prioritaire pour l'acquisition du bien. Grâce au droit de préemption urbain, une commune peut ainsi acquérir des biens dont elle a besoin pour mener à bien ses projets d'aménagement, sans recourir à l’expropriation.
(3) Prix défini par les services de France Domaine.
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05 février 2020
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yann.lalande
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08 février 2020
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11 février 2020