Portrait

Sébastien Lefrançois
/ De petits pas en petits pains

Boulanger alternatif. Il y a deux ans, il a laissé tomber sa carrière de danseur chorégraphe pour la boulangerie. Il ne possède pas de boutique pour se concentrer sur la fabrication, à la Briche, d’un pain au levain, pétri à la main et issu de variétés anciennes de blés.
Avant de devenir boulanger, Sebastien Lefrançois était danseur chorégraphe. © Yann Mambert
Avant de devenir boulanger, Sebastien Lefrançois était danseur chorégraphe. © Yann Mambert

Cet homme a choisi d’être dans le pétrin. Sébastien Lefrançois, la cinquantaine approchant, a interrompu sa carrière de danseur chorégraphe pour devenir boulanger. « Ça a commencé par une crise professionnelle : qu’est-ce que je fais là ? Est-ce qu’on a besoin de moi ? », s’est-il questionné. Il fait alors « beaucoup de méditation » et, en septembre 2018, se décide : « Il fallait que ça change. Je devais retrouver le contact avec la terre, la ruralité. » Pour ce faire, Sébastien adopte le woofing, qui consiste à travailler bénévolement dans une exploitation agricole et biologique en échange du gîte et du couvert. S’il est habitué à l’effort, le chorégraphe et ancien patineur artistique de haut niveau se heurte au dur labeur dans les champs.

­­« C’était hyper physique. » Il s’accroche et, de woofing en woofing, tombe sur un paysan boulanger. « Deux fois par semaine, il boulangeait », avec sa propre farine, issue de ses propres champs de céréales, qu’il meulait lui-même. « Lui allait jusqu’au bout. Il faisait toutes les étapes, de la culture au pain. J’ai eu une révélation. J’ai pensé que c’était ma voie : la paysannerie. » Mais Sébastien réfléchit et calme son enthousiasme. « Le type était cramé », comprendre usé par l’ampleur de sa tâche. De plus, le danseur n’est pas seul. « J’ai deux grandes filles qui font des études et ma compagne travaillait avec moi dans ma compagnie Trafic de styles (basée dans le 92). Elle a eu la gentillesse de prendre seule à bras-le-corps la structure. » Il reçoit aussi l’appui de Pôle Emploi, « trop content de se débarrasser d’un intermittent du spectacle ! »

« Je ne suis pas un boulanger mais un boulanger alternatif. »

Il s’inscrit alors à une « formation appropriée » qui enseigne « le pain et la farine. Ce n’était pas une formation de boulangerie conventionnelle ». De septembre 2018 à juin2019, il fait un tour de France des boulangeries, « un peu comme les Compagnons du Devoir. Je demandais à faire des stages. J’y ai appris la technique du four à bois et du tourier (qui façonne pâtes feuilletées et viennoiseries) ». Sur les douze établissements qui l’accueillent, dix présentent des modèles économiques en lien avec la permaculture, le paysan-boulanger, la meunerie. En juin 2019, il finalise sa formation en obtenant en candidat libre son CAP de boulangerie conventionnelle. Pour exercer son nouveau métier, Sébastien ne voulait pas de « boutique en propre ».

Pour baisser les coûts de fonctionnement et vivre de sa production plutôt que de « rembourser un banquier ». Surtout pour « mettre toute la belle attention, la belle façon (nom qu’il a donné à son activité), dans la fabrication du pain. Pas sur la déco ni la gestion du personnel… »

En septembre 2019, il lui faut bien s’établir. « Je suis allé à Pôle Emploi et à la mairie (de Villeneuve-la-Garenne). J’ai parlé décroissance, économies d’énergie, éco-responsabilité dans le processus de fabrication… » Il déchante. « On ne m’a pas compris. On m’a proposé une place au Qwartz ! », le centre commercial. Mais cette incompréhension le conforte dans son credo : « Je ne suis pas un boulanger mais un boulanger alternatif. » Justement, un « boulanger alternatif », il y en a un à la Briche, qu’il connaît pour avoir fréquenté pas mal de tiers-lieux dans sa carrière artistique. « Simon est installé dans un chalet avec un four à bois. Je lui ai demandé s’il voulait partager son espace. On partage bien des appartements sur Airbnb et des bagnoles sur BlaBlaCar ! »

Blés meulés à la pierre

Ainsi Sébastien se lève à 1h du matin pour fabriquer son pain dans l’atelier de Simon de 2 h à 10 h. « Je mets un point d’honneur à le livrer chaud. Pas comme dans les magasins bio où on a souvent du pain du lendemain. » Le circuit court a forcément sa préférence. « J’ai fait le choix d’une Amap à moins de 20 minutes du lieu de production. » C’est-à-dire qu’il approvisionne la Dionycoop de la Ferme et de la Gare, l’épicerie de la Briche et Pointcarré. Considérations logistiques mises à part, Sébastien se concentre sur « la base : que le pain soit bon sur le plan du goût et de la digestibilité ». Aussi il choisit des céréaliers cultivant des blés anciens, « sans les trois “cides” » – pesticides, herbicides et fongicides. Et qui meulent à la pierre, pour « garder les épicarpes, l’enveloppe du blé contenant les nutriments et les minéraux », afin d’obtenir une farine digeste pauvre en gluten, qui rend la mie élastique. Et le long pétrissage mécanique n’arrange rien.

« Avec les pains conventionnels, on vend de l’air et du chewing-gum », s’insurge l’artisan, qui lui préfère pétrir « à la main » et utiliser un levain « sauvage », pas de celui uniformisé qui se retrouve dans tous les pains de France. « Le mien est issu de variétés anciennes. Ces micro-organismes, quand on les laisse faire, dégradent le gluten et le sucre. » C’est pourquoi ses miches ne sont pas très bronzées, l’excès de sucre donnant la croûte dorée à laquelle on est habitué. Le boulanger alternatif soigne aussi sa « pousse », ce temps où la pâte lève.

« C’est comme faire vieillir un bon vin. Mes pousses durent jusqu’à 24 heures. Dieu sait que ce n’est pas rentable ! » Peu importe, Sébastien veut privilégier le goût, développé aussi par le mode de cuisson, en l’occurrence au four à bois. « C’est ludique. On joue avec le temps, la température et des éléments rudimentaires : la farine, l’eau, le sel, le levain. » Aujourd’hui, Sébastien Lefrançois nourrit un rêve. Créer un foyer – lieu de spectacle, d’éducation populaire, de lien social – organisé autour d’un four. Au carrefour de ses compétences d’homme du spectacle et de boulanger, en somme.

Patricia Da Silva Castro

Livraison lun, mer, ven à Pointcarré (20, rue Péri), réservation la veille avant 19h par SMS au 0611393241. Contact Dionycoop (Ferme et Gare) : dionycoop.org