Portrait
Amandine Gay/
Cinéaste d’utilité publique
Ses stories Instagram remplies d’appétissantes pâtes fumantes offertes quotidiennement aux personnels de Delafontaine en ont fait saliver plus d’un durant le confinement. « On se sentait démuni et inutile, détaille Amandine Gay. La cantine de l’hôpital était fermée. Mon conjoint a proposé son soutien culinaire à l’une de ses connaissances qui travaille à l’hôpital. » Cette Lyonnaise de 35 ans, diplômée de Sciences Po, après être montée à Paris il y a une douzaine d’années, s’est installée dans le centre de Saint-Denis en mai 2015 avant « d’émigrer » deux ans à Montréal pour reprendre ses études. Une maîtrise en sociologie qui fera office de « travail de recherche préliminaire » pour son nouveau film initialement prévu pour novembre et décalé, crise sanitaire oblige, à 2021.
Obsédée par le basket dès ses 8 ans, elle se voyait débuter une carrière professionnelle « jusqu’à la fin du collège où j’ai compris que je n’avais pas le niveau pour jouer en WNBA ». C’est lors d’un job d’été de femme de ménage dans une colo artistique que la jeune Amandine alors âgée de 18 ans se découvre une passion pour le cinéma et la réalisation. « Je me suis fait des amis chez les “monos” cinéma. Ils faisaient des films d’horreur et c’est comme ça que le cinéma commencé à faire partie de ma vie. » À Sciences Po Lyon, elle s’accroche tant bien que mal à ses études de journalisme jusqu’à la dernière année passée en Australie. « Je n’ai pris que des cours de cinéma au deuxième semestre et j’ai réalisé que c’était ce qui m’intéressait vraiment. »
Sciences Po et conservatoire
Après un an et demi de voyage, Amandine décide « d’assumer de vouloir faire des trucs artistiques » et s’installe à Paris. « Pour ma mère, institutrice, fille d’ouvrier et première de sa famille à aller au lycée, les études sont vitales », explique celle qui assure avoir « rempli son contrat en étant diplômée de sciences politiques ». Elle intègre le conservatoire d’art dramatique du 16e arrondissement et y reste deux ans. « Ça m’a permis de passer des auditions, de voir comment le métier fonctionne mais je me suis surtout rendu compte qu’il n’y avait pas de places pour des comédiennes noires. »
Un constat qui l’amène à se tourner vers l’écriture. Elle commence par écrire des programmes courts de fiction. « Ça ne fonctionnait pas alors je me suis demandé ce que je pouvais faire par mes propres moyens : un documentaire. » C’est comme ça qu’est né Ouvrir la Voix, un documentaire centré sur l’expérience de la différence en tant que femme noire, débuté en 2014 et projeté publiquement pour la première fois à l’Écran en octobre 2017.
Amandine Gay ne fait pas les choses à moitié. Ouvrir la Voix – une réappropriation de la parole de la femme noire qui vient « clôturer une dizaine d’années de réflexion et de militance » afro féministe – elle l’a écrit, produit, monté et distribué elle-même avec l’aide de son conjoint, son « associé en affaires ». « On a monté une boîte de production et de distribution nous-même. Comme nous avons fait le film sur nos fonds propres, il y avait une énorme pression financière. Si le film n’avait pas marché, mon conjoint serait retourné bosser dans la restauration. »
Face au succès du documentaire, s’ensuit une tournée également organisée par ses propres moyens. 120 projections-débats pendant presque deux ans. Son engagement se poursuit dans les salles de classe du collège Iqbal-Masih où durant une année la réalisatrice anime un atelier « éducation à l’image ». « On a décortiqué des montages pour apprendre la construction d’une narration, enregistré des voix off, les élèves ont même refait certaines séquences du film avec leurs exemples à eux. » Amandine Gay sait où elle va. « Quand j’ai terminé de tourner le film, j’ai voulu travailler sur l’adoption. » Le scénario du projet, l’ambitieuse réalisatrice le commence pendant la tournée du premier film. Donner la parole aux premiers concernés, les adoptés, est le sujet de son prochain film d’archives, Une Histoire à soi. Des histoires qui font également écho à la sienne et à son engagement pour mettre en lumière ces paroles. Son expérience québécoise lui a notamment permis de créer en 2018 un événement inspiré d’une initiative anglo-saxonne vieille de 30 ans, le Mois de la reconnaissance des personnes adoptées (National Adoption Awareness Month). Mais cette fois-ci, ils ne sont plus que deux pour tout réaliser.
« Ce film est notre passage dans l’industrie du cinéma. » Pour cette grande sportive qui joue toujours au basket à Aubervilliers, court, fait du vélo ou va à la salle, le confinement a été difficile au niveau organisationnel. « Je ne pouvais pas faire de sport comme je le voulais, mais comme je travaille de base à la maison, mon mode de vie n’a pas tant changé. » La période a été l’occasion de finir le montage d’Une Histoire à soi qui devait à l’origine être présenté durant les festivals d’été, tous annulés. « Ce qui est bien avec ce confinement où tout a été décalé, c’est que je vais avoir un peu de temps libre pour ne rien faire et surtout lire pour le plaisir. » Un repos bien mérité qui devrait être de courte durée pour cette hyperactive qui projette déjà d’écrire une fiction.
Olivia Kouassi