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Bientôt le retour des bains-douches ?
Et si les bains-douches (re)devenaient une réalité à Saint-Denis ? C’est le vœu de la Ligue des droits de l’homme (LDH) qui a publiquement interpellé, en novembre, les élus et les décideurs locaux sur l’urgence de construire un tel équipement pour le territoire. L’association le juge d’utilité publique au vu de la situation alarmante des migrants ces dernières années, dont le campement à Porte de Paris, évacué le mois dernier, a réuni plus de 3000 personnes, mais aussi de toutes les populations précaires qui n’ont pas les moyens de se laver.
« Nous voulons que ces exilés, ainsi que toutes les personnes à la rue, en bidonvilles, et en situation de mal-logement, qui sont aussi nos voisins, puissent exercer leurs droits […] et vivre dignement ici. Cet établissement de bains-douches répondra à un besoin permanent et il n’existe pas aujourd’hui à Saint-Denis », est-il écrit dans cet appel soutenu par plusieurs associations, dont le Droit au logement, le Mrap et Utopia 56.
S'inspirer de Paris
« Il y a un besoin criant à Saint-Denis. C’est un équipement indispensable pour le territoire », insiste Samuel Bargas, membre dionysien de la section locale de la LDH, à l’initiative de l’appel. Cet établissement public et gratuit ne se limiterait pas qu’à des cabines de douche. Il donnerait aussi accès à des toilettes, des lave-linges, un service de conciergerie, des salles de repos, tout en permettant un suivi social, médical et psychologique de ses usagers, énumère le militant des droits humains. Cette structure pourrait être financée dans le cadre de « l’héritage citoyen et durable » des Jeux Olympiques, précise-t-il. « Saint-Denis pourrait s’inspirer de la Ville de Paris, qui compte encore aujourd’hui 17 bains-douches, directement gérés en régie publique. »
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Construits entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle, ces établissements ont accompagné l’essor des premiers logements sociaux, alors que l’accès de l’eau à domicile était encore rare, selon une étude sur les bains-douches parisiens publiée en 2019 par l’Institut national d’études démographiques (Ined). Ces établissements ont perduré dans la capitale, contrairement aux autres villes françaises qui les ont pour la plupart fermés, au fur et à mesure que les salles de bains ont fait leur entrée dans les logements.
À Saint-Denis, il a existé au moins trois bains-douches, dont l’un au niveau de l’église Neuve à la Gare et l’autre à proximité de l’hôpital Casanova, selon plusieurs témoignages. Le dernier établissement se situait à la Plaine, rue Saint-Just, à l’emplacement de l’actuelle Maison de quartier. Sur le fronton du bâtiment, il est encore inscrit « bains-douches ». C’est la dernière trace de ce patrimoine historique. Cet équipement public a été sans doute construit dans l’entre-deux-guerres, selon Jean-Jacques Clément, bénévole à l’association Mémoire vivante de la Plaine. « C’était le seul moment de la semaine ou l’on avait l’occasion de se prendre pour un riche, de se détendre dans un endroit bien chaud enveloppé de vapeur, d’ouvrir un robinet avec de l’eau chaude, un luxe comme l’on disait », se souvient Marcel, 82 ans, qui a fréquenté l’établissement jusqu’aux années 1950. Mais l’affluence a ensuite baissé, en même temps que les appartements se modernisaient.
Fermeture il y a une douzaine d’années
Agent à la Maison de quartier depuis plus de trente ans, Kamel Mensous a vu la fermeture de cet équipement public il y a une douzaine d’années. Rénové au début des années 1990, il comptait 20 cabines. « Il y avait encore beaucoup de monde quand ça a fermé », se rappelle Kamel. Mais il explique que des problèmes d’organisation et d’accueil d’une population précaire et des usagers de la Maison de quartier ont poussé la Ville a fermé l’établissement. Aujourd’hui, les plus pauvres peuvent se laver à la Maison de la solidarité dans le nord de Saint-Denis, mais ce dispositif est uniquement réservé aux personnes sans-abri et certains jours de la semaine.
Le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues de Saint-Denis compte aussi quelques cabines. « Ces accompagnements sont indispensables, mais ce n’est pas suffisant. Cela ne concerne pas tout le monde, estime Samuel Bargas. Il faut un lieu public ouvert à tous sans conditions, avec un service pérenne où l’on peut aller quand on veut, sept jours sur sept. Les bains-douches, cela ne concerne pas que les gens à la rue », continue-t-il. En effet, selon l’enquête de l’Ined, les bains-douches de Paris sont fréquentés par les plus pauvres mais une part non-négligeable – 48% des usagers – est logée ou hébergée.
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Selon des chiffres 2017 de l’Insee, près de 9 % des résidences principales à Saint-Denis – soit environ 3900 logements – n’ont pas de salle de bains équipée d’une baignoire ou d’une douche (comme à Paris 18e, où il y existe deux bains-douches). Cela montre que l’établissement pourrait toucher une population plus large, est-il convaincu. Pour Marcel, qui a vécu la misère de l’après-guerre, les époques n’ont rien de comparable, mais il trouverait normal que des bains-douches soient de nouveau accessibles, notamment pour les migrants, dont il a vu les campements se succéder à la Plaine. « Pouvoir se laver, aller aux toilettes, avoir un minimum d’hygiène, c’est primordial. »
Aziz Oguz