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Violences faites aux femmes
/ « Pas le moindre petit espace de respiration »

Passées sous silence pendant deux mois, les violences faites aux femmes durant le confinement, sont aujourd’hui connues et rendues publiques par les associations et les autorités. Entretien croisé avec Ernestine Ronai, présidente et fondatrice de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, et Mathilde Delespine, coordinatrice de l’unité dédiée aux femmes victimes de violences à la Maison des femmes de Saint-Denis.
Ernestine Ronai, présidente et fondatrice de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. DR
Ernestine Ronai, présidente et fondatrice de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. DR

Pendant ces 55 jours d’enfermement, certaines femmes ont connu des situations dramatiques, enfermées avec leur conjoint sans avoir la possibilité d’appeler au secours, ou alors en usant de certains subterfuges pour se signaler. Un véritable enfer. Faut-il se consoler pour autant qu’aucun féminicide n’ait été commis… Tous les indicateurs révèlent une hausse des violences conjugales. ­­­La ligne d’écoute dédiée aux victimes de ces violences conjugales, le 3919, a enregistré 10 000 appels au mois d’avril, soit le double de l’an dernier à la même période. Aujourd’hui, la priorité est donnée par les associations à l’accueil physique, à l’écoute et surtout à la protection.

« Toutes les mesures prises lors du confinement doivent être pérennisées », exigent les responsables d’associations. En plein confinement, Plaine Commune Habitat a mis à la disposition des femmes victimes des T2 et T3, meublés en un temps record afin de leur permettre de repartir dans une nouvelle vie. Celles-ci pourront rester six mois dans ce logement avec une prise en charge du loyer pendant trois mois par l’association SOS Femmes 93, et l’autre partie gratuitement. Quant aux Téléphones Grave Danger (TGD) permettant à la victime de joindre un service de téléassistance 7 jours/7 et 24 h/24, ils sont au nombre de 47 en activité sur tout le département. Pendant la période de confinement, sept TGD ont été remis à des femmes en danger.

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Entretien croisé avec Ernestine Ronai, présidente et fondatrice de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, et Mathilde Delespine, coordinatrice de l’unité dédiée aux femmes victimes de violences à la Maison des femmes de Saint-Denis.

LE JSD : Êtes-vous en capacité aujourd’hui de mesurer les violences commises envers les femmes pendant le confinement ?

Ernestine Ronai :Pour l’instant, en termes de bilan, personne n’a une vision complète car un certain nombre de femmes, du fait du confinement, étaient victimes sans forcément être en capacité de signaler les violences commises contre elles. Mais nous aurons ces éléments. Ce que l’on connaît, ce sont les réponses apportées et, du coup, cela donne une idée de l’ampleur de la situation.

Mathilde Delespine :Pendant toute cette période, avec l’impossibilité de sortir librement, il fallait forcément une attestation avec un motif précis. Les personnes qui sont dans le contrôle de la vie privée de leur compagne ou de leurs enfants ont pu exercer encore plus ce contrôle sur leurs allées et venues. On a pu constater à la Maison des femmes que des habitantes enceintes ne se rendaient pas aux consultations de grossesse, alors qu’elles le devaient. Des contacts ont pu être établis en téléconsultation. Certaines ont subi des pressions de la part de leur conjoint, voire de leur famille ou belle-famille, pour ne pas s’y rendre. Elles avaient encore moins la libre disposition de leur corps et de leur emploi du temps. De plus, elles ne pouvaient utiliser les sorties de la vie courante comme prétexte pour rencontrer leur assistante sociale, voire leur psychologue ou l’avocat. Pas le moindre petit espace de respiration ou d’échappatoire possible…

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LE JSD : Quelles réponses ont pu être apportées ?

ER : Pendant cette période de confinement, les forces de sécurité se sont davantage déplacées au domicile grâce au 17, alors que le nombre de plaintes était en baisse. Selon la gravité des faits, l’agresseur était mis en garde de vue et le parquet décidait de poursuivre ou pas. La moitié des gardes à vue dans le département durant cette période a été due aux violences conjugales, alors qu’au total, leur nombre a diminué. Le Conseil départemental, via l’Observatoire, a financé et réservé une dizaine de chambres d’hôtel pour éloigner l’agresseur du domicile conjugal. L’État, via la préfète à l’Égalité des chances, prendra le relais. Il faut que ce dispositif perdure.

MD : Ce que nous faisons, c’est le contraire de la violence, nous remettons du lien et de la parole. Il y a eu des révélations de violences très graves. Alors qu’elles étaient d’ordinaire verbales et psychologiques, elles se sont transformées en violences physique et sexuelle. À cela, il ne faut pas oublier la grande précarité qui a rajouté de l’anxiété pour tout le monde. Le maintien ouvert de la Maison, – les IVG et la contraception d’urgence ne pouvant être repoussées –, nous a permis de recevoir des femmes en urgence. Pendant toute cette période, nous avons pu être en contact chaque jour et aider près de 20 femmes victimes de violence.

ER : Il y a eu une mobilisation du conseil départemental, des services de l’État, des associations pour venir en aide aux femmes victimes de violence, avec une meilleure prise en compte, même si moins de femmes que d’habitude se signalaient. L’augmentation du nombre de Téléphones Grave Danger remis aux femmes est le signe qu’on a pris en compte le niveau dangerosité.

Propos recueillis par Claude Bardavid