En ville
Campement de l’A1/
« Les migrants sont invisibilisés »
L’emplacement, propriété de l’opérateur foncier Grand Paris Aménagement, comptabilisait moins d’une dizaine de tentes mi-mai peu après le déconfinement. Aujourd’hui, le nouveau camp qui s’est formé en contrebas du pont de l’autoroute A1, au niveau de la Porte de Paris en affiche plus d’une soixantaine. Depuis quatre semaines, environ 300 Afghans, dont la moyenne d’âge est de 30 ans, sont installés en bordure de l’A1 dans des conditions de vie avilissantes.
Leur présence fait suite à l’évacuation le 29 juillet de plusieurs campements de réfugiés localisés le long du canal Saint-Denis, au niveau de la Porte d’Aubervilliers. Plusieurs groupes de personnes absentes lors de cette évacuation ont dû trouver refuge ailleurs.
« Actuellement, les conditions de vie se dégradent dans le campement et le nombre de personnes continue à augmenter. Cela fait deux semaines qu’elles nous disent qu’elles ont faim, qu’elles ont soif, qu’elles ont besoin de toilettes », relate Silvana, bénévole depuis deux ans au sein du collectif Solidarité Migrants Wilson (SMW). Dans un courrier envoyé le 24 août à la municipalité, l’association SMW – qui durant l’été a continué sa distribution hebdomadaire de dîners et petits déjeuners dans les campements situés à Saint-Denis et dans le nord-est parisien – a alerté sur la situation des migrants de l’A1. « Les personnes présentes dans les campements ont faim. Les gens souffrent de plus en plus de l’absence de toilettes, ce qui porte atteinte à la décence, à l’hygiène et à la dignité des personnes concernées comme des riverains », précise la missive.
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Le 5 juin, suite à un « référé-liberté » déposé par 16 associations et collectifs venant en aide aux migrants à la rue, le tribunal administratif de Paris avait enjoint les villes de Saint-Denis et d’Aubervilliers, ainsi que les Préfectures de Seine-Saint-Denis et de la région Île-de-France, de prendre des mesures pour les personnes installées le long du canal Saint-Denis, et ce jusque la fin de l’état d’urgence sanitaire : distribution de masques et de gel hydroalcoolique, mise en place de toilettes, douches, points d’eau.
Depuis le 15 août, les sanitaires du bassin de la Maltournée à Saint-Denis ont « disparu » selon les associations locales. Une fontaine publique « en état de fonctionnement » est disponible près du périmètre où se trouve le campement, a fait savoir Katy Bontinck, première adjointe au maire en charge notamment de la santé et de l’hébergement d’urgence. La semaine dernière, « une première livraison de 450 bouteilles d’eau a été réalisée en lien avec plusieurs associations », a-t-elle ajouté. Mais si la Ville garantit « à ce stade un accès à l’eau », ce ne sera pas le cas pour des toilettes.
« Au vu des conditions sanitaires et de la localisation de ces tentes en pleine bordure de l’A1, on a alerté la Préfecture pour une évacuation et une mise à l’abri », a encore exprimé l’élue qui assure que la Ville « veut bien assumer sa part de responsabilité ».
Exactions policières
Jeudi 27 août, vers 11h, en face du campement retranché sous le pont de l’A1, plusieurs matelas étaient encore posés à même la passerelle qui mène vers le Stade de France. Faute de places dans les tentes, « la nuit, des dizaines de personnes s’installent ici », explique Simon Fresnay, bénévole de l’association Sous le même ciel (1). Farid Aman, 25 ans, a entamé des démarches pour demander l’asile en France. L’Afghan y vit depuis deux ans. Celui qui a appris à parler français en Belgique dit que la vie sur le campement est « difficile.On ne mange pas tous les jours et certains sont malades ». C’est le cas de Mohamad, autre exilé âgé de 25 ans, en France depuis seulement dix jours. Il montre des traces de griffes au bras, des boutons, des rougeurs.
« C’est parce qu’il a beaucoup marché, traduit Farid Aman. Il a traversé plusieurs pays : l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, il est venu ici tout seul, toute sa famille est restée en Afghanistan. » « Je suis fatigué, je cherche un endroit où dormir », parvient à exprimer Mohamad. Les deux exilés sont passés par la Porte de la Chapelle avant d’échouer sous l’A1. Selon les associations, la police repousse constamment les exilés vers la Porte de Paris. « La police est venue plusieurs fois, rapporte Farid Aman, elle nous a demandé de bien rester sur le campement et de ne pas aller sur la pelouse » visible en face de la zone bordée de tentes.
« C’est un choix délibéré, comme cela les migrants sont invisibilisés, dénonce Silvana de SMW. On leur demande de rester en bas, au bord de l’A1, là où on ne les voit pas. Aujourd’hui, les migrants sont loin de Paris. Même s’ils ont une ligne de métro à 20 mètres, ils ne peuvent pas circuler ou effectuer leurs démarches car ils n’ont pas de tickets », poursuit la bénévole.
En plus des conditions de vies indignes et la dispersion des personnes migrantes après chaque opération d’évacuation, les associations dénoncent les « violences policières quotidiennes que subissent les personnes en exil ». Solidarité Migrants Wilson a posté sur son compte Instagram @refugees_paris une vidéo daté du 16 août dans laquelle on aperçoit des tentes, quelques migrants et où on entend des cris, et au loin le bruit de sirènes de police. « La police a jeté des grenades lacrymogènes et gazé les gens. Ce n’était pas une évacuation. Les migrants nous disent que la police passe parfois tous les jours », précise Silvana.
Si le collectif de la Plaine a déjà interpellé la municipalité sur plusieurs faits de violence à l’encontre des migrants, pour Clarisse, bénévole engagée de longue date au sein de SMW, les dénonciations doivent venir de « voix officielles ». Au sujet du cycle infernal des opérations d’évacuation menées depuis quatre années, la Dionysienne indique que le collectif a demandé à la Ville si elle « voulait engager de véritables actions pour qu’il n’y ait plus ces atteintes aux droits humains avec des gens qui ne peuvent pas se laver et qui sont violentés ».
171 demandeurs d’asile accueillis au Cada de Saint-Denis
En 2019, le Cada (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) de Saint-Denis a accueilli 171 personnes, selon des chiffres communiqués par sa directrice Céline Gavard. 10% d’entre elles venaient d’Afghanistan. « Depuis deux ans, nous constatons un changement progressif dans le profil et la composition familiale des demandeurs d’asile hébergés. Alors que le Cada a longtemps accueilli des familles nombreuses (6-7 personnes), ce sont désormais davantage de personnes isolées ou des petites familles (2-3 personnes) qui nous sont orientées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Cela nous amène à modifier notre parc locatif, et adapter nos hébergements à l’accueil de ce nouveau public », développe-t-elle.
Au lendemain du second tour des élections municipales, le lundi 29 juin, la Cimade a interpellé les municipalités afin qu’elles interviennent « en faveur du respect des droits fondamentaux des personnes migrantes ». Elles ont le pouvoir d’intervenir « au titre de la clause générale de compétence », a rappelé l’association qui milite pour les droits des réfugiés. Interrogée sur ce point, Katy Bontinck assure qu’il n’y a pas « d’absence d’implication de la Ville sinon on ne ferait rien, on ne répondrait pas aux associations. On s’en soucie ».
Au sujet de la mise à l’abri, l’élue annonce que la Ville est prête à « apporter une contribution afin de pouvoir y répondre sur un court terme. Mais concernant « les questions d’intégration et d’accueil des migrants dans la ville ou de trouver des solutions », l’élue affirme qu’« il serait irresponsable de dire qu’une ville comme Saint-Denis qui présente des problématiques sociales et de crise du logement aura les moyens d’y répondre sur le long terme ».
Yslande Bossé
(1) Samedi 5 septembre, l’association Sous le même ciel organise une collecte de nourriture, de tentes, de couvertures et de produits d’hygiène à la Porte de Paris, au niveau de la station du métro ligne 13. Entre 11h et 12h. L’association est à aussi à la recherche de bénévoles.
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