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Projet de loi LPPR/
« La moitié des enseignants-chercheurs ont des contrats précaires »
Le JSD : Le projet de loi Programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) inquiète la communauté universitaire et scientifique dont vous faites partie. Pourquoi ?
Hélène Nicolas : La LPPR, ce sont trois rapports qui en effet inquiète le milieu scientifique et universitaire. Ces trois rapports que disent-ils ? Ils constatent que la recherche et l’enseignement supérieur français décrochent, que les salaires sont bas et les contrats précaires. Nous, enseignants chercheurs, nous sommes d’accord avec ces constats. Ce sont les préconisations de ces rapports qui posent problème. Elles vont aggraver ce état de fait en multipliant les contrats précaires, en concentrant les moyens sur quelques universités ou laboratoires dits d’excellence et en cassant les quelques instances démocratiques qui gèrent l’université, dont la gestion sera de plus en plus managériale.On est là-dedans en permanence. Le PDG du CNRS, Antoine Petit a dit qu’il fallait pour la recherche une loi « darwiniste et inégalitaire » : c'est l'esprit de cette loi. Mais le décrochage dans le milieu n’est pas nouveau. Il est présent depuis dix ans, plus précisément depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) qui a amené un tournant néolibéral à la recherche. En gros, la LPPR veut accélérer dans la direction de la loi LRU.
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Le JSD : Quel est l’impact de la LPPR sur les enseignants-chercheurs et les étudiants ?
Hélène Nicolas : Selon moi, l’impact le plus grave c’est qu’aujourd’hui, presque la moitié des enseignants-chercheurs qui travaillent dans les universités et les laboratoires ont des contrats précaires. Une grande part de ces précaires sont des vacataires rémunérés en dessous du smic horaire, sont payés tous les six mois et n’ont aucune garantie de trouver du travail à la fin de leur contrat. Les emplois titulaires se sont réduits ces dernières années alors qu’il y a de plus en plus d’étudiants et d’urgence pour les recherches de type climatique et inégalités sociales. On a de grands enjeux sociaux sur lesquels les chercheurs pourraient s’investir mais on voit que les financements pérennes disparaissent. Le problème que cela pose c’est qu’il est impossible de travailler dans de bonnes conditions avec des gens qui sont sous-payés voire qui travaillent gratuitement et qui changent de poste tous les 2, 3, ou 6 mois.
Autre enjeu : quand on est enseignant-chercheur, on doit faire 192h d’enseignement par an, c’est le référentiel horaire. La moitié de notre temps de travail est pour l’enseignement, l’autre pour la recherche. La LPPR prévoit la suppression de ces 192h. On va donc potentiellement faire beaucoup plus d’heures en étant payés de la même manière. Plus, on va devoir réduire notre temps de recherche. Or, pour être de bons enseignants à l’université, il faut être à la pointe de ce qui se fait en recherche. Si on supprime cela, nous allons nous retrouver avec des enseignants-chercheurs qui ne seront plus que des enseignants, donc d’assez mauvaise qualité. On en arrive à l’impact sur les étudiants : avec la LPPR, il va y avoir une minorité d’enseignants-chercheurs qui auront des primes, qui auront des projets financés ou qui vont avoir le temps de faire de la recherche et d’enseigner dans quelques pôles d’excellence. Les autres universités vont être des facultés où les cours et la recherche (si elle existe encore) vont être de seconde zone. A Paris 8, nous serons les premiers touchés car on accueille un public populaire.
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Le JSD : Plusieurs universitaires dénoncent aussi la logique « d’augmentation de la compétition » et d’inégalités qu’annonce ce projet de loi.
HN : Avec la LPPR, il y aura en effet une petite minorité de chercheurs qui aura plus financements. Ce seront les plus connus mais aussi ceux qui gravitent dans les réseaux de pouvoir ou dans les institutions les plus prestigieuses. Mais procéder ainsi, c’est accroître les inégalités, non sur la base des compétences, mais sur la capacité à accumuler du pouvoir.
Toute personne qui se trouve être extrêmement brillante sans être compétitive et qui n’accepte pas de marcher sur les autres pour mener son projet de recherche à bien va être écartée de la compétition. Les inégalités femmes-hommes risquent de s’accroître. Les femmes pourront être compétitives si elles peuvent mettre l’ensemble de leur temps libre au service d’un projet de recherche. Or, les appels à projets demandent de travailler le soir et dans nos sociétés, ce sont les femmes qui gardent majoritairement les enfants. Un problème que pose la concentration des moyens, c’est qu’il est dans les mains de quelques-uns, pas quelques-unes. C’est souvent des hommes. Des hommes blancs, il faut le dire. Moins on a de procédures démocratiques, plus le pouvoir est concentré dans quelques mains et plus la capacité à exploiter les autres, à demander du travail gratuit, à faire du harcèlement moral et du harcèlement sexuel explosent. Et d’ailleurs, dans ce projet de loi, il n’y a aucun mot sur ce qui pourrait être fait pour endiguer ces phénomènes de harcèlement sexuel mais aussi ces problèmes de discriminations présents à l'université en général. On n’a aucun quota, rien qui est pensé. Aujourd’hui, on est quand même dans une société française qui a eu beaucoup de migrations. Or, il y a extrêmement peu d’enseignants-chercheurs qui ne soient pas blancs. Cela ne pose aucun problème à nos instances. Ce projet de loi ne questionne rien.
Et puis, qui décidera des projets de recherche pouvant être financés ? Avec la LPPR, ce n’est plus un comité d’expert scientifique qui va juger de la qualité scientifique d’un projet. Il y aura de plus en plus de membres nommés par le gouvernement, des gens de grandes entreprises dans les jurys. Et bien sûr, tous les projets qui contestent la politique sociale, économique ou même écologique du gouvernement vont être en difficulté pour trouver des financements. On est vraiment dans cette idée de mettre la recherche au service du privé, au service d’un projet politique.
Le JSD : Pour les enseignants chercheurs, la lutte contre la réforme des retraites suscite aussi pas mal d’inquiétudes… LPPR et réforme de retraites sont-elles des revendications indépendantes ?
HN : A Paris 8, on est au moins une trentaine à être en grève reconductible depuis le 5 décembre. On ne lutte pas seulement contre la LPPR mais aussi contre la réforme des retraites. Par ailleurs, à l’université, il existe deux types de personnels : les enseignants-chercheurs et les BIATOS, toutes les personnes qui font tourner l’université et qui représentent en gros un peu moins de la moitié des employés. Si la réforme des retraites passe telle qu’elle est prévue, enseignants-chercheurs et BIATOS auront moins 30% sur leur pension retraite. Chez les enseignants-chercheurs, la moyenne d’âge de recrutement est de 35 ans. Si le calcul de la retraite se fait sur l’ensemble de la carrière, il est évident que ce sera en notre défaveur. On a passé une grande partie de notre carrière à faire des études et à avoir des contrats précaires avant de trouver un emploi sérieux. On entend des gens dire « Oui, mais vous, vous allez pouvoir travailler jusqu’à 65, 70 ans.»
Mais à l’université, on a des maladies du travail extrêmement importantes comme le burn out qui se développent depuis dix ans. Cela est dû à toutes ces injonctions contradictoires et le fait que régulièrement on nous demande de faire un temps de travail qui ne rentre pas dans la semaine.
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Le JSD : Aujourd’hui, quelles sont vos revendications et attentes pour la recherche ?
HN : La première revendication de la coordination nationale des facs et labos en lutte, c’est un recrutement massif et pérenne de tous les précaires qui sont chez nous. Pas seulement les enseignements-chercheurs mais aussi le personnel administratif. Il y a un manque de personnel qui est frappant. Il faut absolument recruter et ce dans des conditions de travail dignes. La deuxième chose, c’est l’instauration de financements structurels. La plupart des facs comme Paris 8 ou même la Sorbonne manquent de moyens : les fenêtres s’écroulent, régulièrement on n’a pas de lumière, pas d'internet. Il faudrait aussi construire 2 ou 3 universités en plus pour pouvoir accueillir un public étudiant qui a augmenté de façon exponentielle.
Pour les laboratoires de recherches, nous avons également besoin de financements sur le long terme. Aujourd’hui, on passe un tiers de notre temps de travail à chercher des financements que trois fois sur quatre, on n’obtient pas. C’est ridicule ! On a fait plus de dix ans d’études, on a des compétences extrêmement élevées dans nos domaines sauf que notre temps de travail scientifique est extrêmement réduit en raison de cette quête aux financements pour nos projets. La coordination des facs et labos en lutte est pour une université financée, ouverte, gratuite pour tout le monde. C’est-à-dire qu’il faut supprimer les frais d’inscriptions « exceptionnels » pour les étudiants extra-communautaires. C'est anticonstitutionnel : l’éducation en France doit être gratuite et accessible à toutes et tous. Dans notre pays, on peut encore faire une recherche autonome et contradictoire. Si nos financements sont soumis aux pouvoirs politiques ou aux entreprises, c’est catastrophique non seulement en terme démocratique mais aussi scientifique. Si on n’a plus la liberté d’inventer, on ne fait plus de recherche fondamentale et on ne fait plus de vraies découvertes.
Propos recueillis par Yslande Bossé
(1) Une manifestation est organisée à Paris ce jeudi 5 mars par la coordination nationale des facs et labos en lutte.